Le patois du Nord

Le patois du Nord, nous croyons le connaître. Bien sûr, on ne nous l’a pas enseigné à l’école. Nos parents se gardaient bien de nous l’apprendre. Par quels chemins détournés a-t-il pénétré nos oreilles ? Mais nous le connaissons tous plus ou moins, quelquefois même assez bien.

Il a toute la saveur du parler populaire, mais aussi du bon sens et de la simplicité. C’est pour cela que nous l’aimons.

Ce que nous aimons aussi, ce sont des manières de parler, ou des vocables curieux, d’origine flamande ou picarde, parés d’un parfum de vieux français.

Pour partie ces locutions du terroir, sont employées à dessin, d’autres, infiltrant notre langage, révèlent sans fard notre marque d’origine. Le «Je vous dirai quoi», ou la ponctuation par le “hein !” qui nous font rire nous-mêmes, font bel et bien partie de notre personnalité.

Une source assurée de rire entre Geneviève et moi, et parfois de Christophe ou Juliette, c’est de rappeler certains termes familiers. Geneviève par exemple aime beaucoup un terme employé avec les enfants :
« s’n’écour »…,
tel « viens dormir sur mon écour, petit »; moi je préfère
« un’ baise… viens m’faire un’baise su l’front ».

Christophe, lui, adore la réflexion, qu’on lui rapporta, d’un vieil oncle, à qui l’on demandait des nouvelles de sa femme, et qui répondait invariablement :
« Cha va bin, ell’ bretonne ».

Adrien notre petit-fils, déposait malicieusement son verre en équilibre instable au bord d’une table, pour s’entendre dire par sa grand-mère :
« Attention, il marchande ».

Dans le genre du «je vous dirai quoi» du film sur les Ch’ti, et des termes drôles et confondants, on trouve ; « Et d’où qu’elle est cheulle clé ?»…
Réponse :
«Elle est après l’porte».
Pas devant, ni sur, mais APRÈS la porte.

Ce n’est d’ailleurs pas le seul tour que nous joue le terme “après”. Un brocanteur de la braderie de Lille s’en servira pour dire :
« Te l’as pour chinq euro, mi ch’perd après »

Et du client on dira, non pas qu’il s’est fait avoir, mais qu’il s’est fait
« arranger ».

Ce client pourra toujours dire :
« j’sais pas c’min qu’ j’ai fait min compte »,
mais j’ai réussi « à tirer mon plan ».

Si quelqu’un ne vous inspire pas confiance, vous pouvez dire qu’il est
« autrement qu’ainsi ».

S’il est du genre ennuyeux, vous direz
« Mais què soyeux ch’ti là ».

S’il raconte des histoires peu crédibles,
« Ch’é des carasbistoules ».

Et sa femme, qui bavarde, elle n’arrête pas de
« camanetter ».

D’une personne un peu fière, on dira,
« ch’est eunn’ faiseus’ d’embarras ».

L’aspect physique, d’une enfant par exemple, suscite d’autres façons de parler,
« Ch’est une petite fin bellotte, avec ses crolles et ses brins de juda »

L’enfant veut aller à la toilette, on lui demande
« Pour quelle commission, la p’tite ou pour la grande ?»
Et quand l’enfant revient de la commission, la grand-mère pour se rassurer lui demande
« t’as bien fait ?»,
ou mieux
« t’as bien fait ta grande ?».

Parlant du temps, ou bien c’est «y fait eunn’ caleur d’bête»; si au contraire il fait froid, on dira «y fait «cru». S’il pleut à verse, «y drache», ou bien «y t’chet dz’ ours». Geneviève améliore en disant : «des ours à la badine».

Si je ne suis que mouillé, je dis que je suis
« frec »,
et plus mouillé,
« j’sus tout frec ».

Au repas, si l’on n’a pas faim, on s’efforce de manger
« eun’ séquo »,
et puis on
«pluque».

Si le bifteck est trop petit, on va dire qu’il est un peu
«riquiqui».

S’il est trop gros, on dira à la manière belge, non pas qu’on ne va pas pouvoir, mais qu’on ne va pas « savoir » le manger. Ne mangeons pas trop, sinon on peut attraper le « souglout », et cela pourrait « passer par l’trou à l’tarte », et si l’on est indisposé on risque, risque majeur, « d’avoir la drisse ».

Ce ne sont que certains exemples du parler du Nord, aux origines variées. Certaines de ces façons de parler nous sont bien connues, et évitables si on le veut, d’autres nous collent à la peau, nous échappent subrepticement et marquent de façon indélébile, comme l’ADN, notre qualité, hautement revendiquée, de « gens de ch’Nord ».

Au prix d’être incompris des peuples du Sud, à qui l’on dira qu’on
« marche à pieds de bas »,
et pas en chaussettes, à qui l’on parlera, non pas de nos orteils, mais de nos
« doigts de pied »,
pas d’une casserolle, mais d’un « couet », pas d’une serpillière, mais d’une « wassingue », et pas des endives, mais des « chicons ».