Le jour des obsèques de Marcel, j’ai pris note de ses fameuses paroles préférées, au moins de celles dont mon entourage se souvenait le mieux. Depuis, en maintes situations, ce “vocabulaire particulier”, comme l’appelait Philippe, s’offre encore à mon esprit, lui imposant l’image de Marcel, sa voix et son sourire inimitables.
J’ai recopié ces notes une à une, essayant chaque fois d’en expliquer le sens. L’ordre alphabétique suivi par moi permet de les disposer sans relations entre elles, mais n’est-ce pas un moyen de mieux représenter la fantaisie qui entourait leur usage.
La lettre A
- Elle nous fait commencer par l’expression reine, les “amerloques“. Quand on à faire à la culture américaine, le mot “amerloque” s’emploie comme un adjectif, et vient généralement accompagné de la précision”sous-culture”. On a ainsi : “sous-culture amerloque”. En certains cas, la “sous-culture” américaine peut devenir, mais est-ce à son profit, “afro-amerloque”.
- “Acch“. Je ne sais plus qui de la jeune génération – pas la plus jeune de toutes, mais tout-de-même la génération qui fait le monde de demain – m’a proposé ce terme, “Acch” : il convient le mieux dans la génération de Marcel – et dans l’expression “à nos âges”. Pour mieux rendre le son, imaginez-vous appartenant à cette génération et tentez d’émettre le bruit d’une machine à vapeur. A nos “Acch”.
La lettre B
- “Bérégovoyou“. Avec ce terme on aborde les sujets politiques. Bérégovoy était ministre des Finances de Miterrand. La cause de son suicide n’est pas bien connue, pas mieux que celle du suffixe dont Marcel l’affublait.
- “Bigorneau“. Je pense que Marcel désignait ainsi le téléphone. Parmi les sens que donne Littré au mot “Bigorneau”, figure “petit coquillage”, ce qui renforcerait mon hypothèse.
- “Bled pourri” sans conteste désigne cette grande ville qu’est Paris. Au terme “bled”, par lui-même dépréciatif, surtout appliqué à notre capitale, Marcel joignait volontiers celui de “pourri”, le tout énoncé avec l’expression du plus parfait mépris.
- “Bolcheviks“. Ce terme, référence à l’histoire de la Russie, me semble utilisé par Marcel pour désigner tous ceux qui, de près ou de loin, se référaient au communisme.
La lettre C
- “C.. bénite“. Désigne évidemment, par onomatopée, l’illustre Cohn-Bendit.
- la “Chabana“. Je pense qu’il s’agit de Chaban-Delmas, disparu voici bien longtemps, peut-être sans même avoir connu ce surnom que lui prêtait Marcel.
- les “charlots“. Terme qui servait à désigner les hommes politiques que Marcel n’aimait pas, soit à peu près l’entière population des hommes politiques.
- la “couveuse” de Murville. s’applique bien entendu à Couve de Murville, ministre de De Gaule.
- “Compresseur“. Laissons un instant la politique pour cette appellation imagée des sons émis par toutes les variétés de musique moderne à base de percussions. Reflète parfaitement l’estime particulière dans laquelle Marcel tenait les dites musiques.
La lettre G
Dans la lettre G figure à la meilleure place le personnage favori de Marcel, auquel il décernait le plus de surnoms, De Gaulle. Voici une liste non exhaustive de ces surnoms.
- Gentil, le “Grand Charles“.
- Moqueur, le “Grand Sémaphore“.
- Insultant mais drôle, le “Grand Roquentin“, selon Littré un nom donné sous François 1er – si loin – à de vieux militaires en retraite.
- Enfin, méprisant – il convient d’exprimer aussi le mépris par la voix – le “Colonel Gaulle“.
Autres expressions commençant par G
- la “gueuse“. Je crois que ce terme désignait la guerre de 14/18. Les rares fois dont Marcel en parlait, ce terme affleurait régulièrement.
- les “gamoilles” désignait sans doute les gamins, d’aimables gamins s’agissant de ses enfants et petit-enfants, complétés de leurs cousins.
- Suit une autre expression affectueuse dont le sens paraît échapper à tous: “Grand niquenndoule” (orthographe sans garantie). On accepte toutes les suggestions quant à la signification.
Continuons avec la lettre J,
- “j’m’avo dit j’vais aller voir Titoya” : formule consacrée pour le retour à la maison du 22 avenue Bailly Ducroquet le soir après le travail, précédée d’un sifflement caractéristique. Tiyota : voir “T”
Avec la lettre K, retour à la politique
- “Kroutchef” me paraît désigner Kouchner.
Dans la lettre L,
- Cette expression cocasse: “Liberté Egalité Poil au nez“.
Avec la lettre O,
- On arrive à “Occcran” (à prononcer comme on l’écrit), pour Christine Ockrent, speakrine incontournable d’une époque révolue.
- Et arrive avec elle l’un des sujets de conversation favoris: la télévision, que Marcel aimait appeler ORTF, soit pour rappeler la radio qui la précédait, soit pour désigner le rôle – à ses yeux sans doute guère satisfaisant – de l’état dans son fonctionnement.
Pour la lettre T,
- Titoya = ma petite Lola, le surnom donné par Mamie Marie Madeleine à sa fille Solange, et prononcé par Dominique bébé
Et pour finir la lettre Y,
- “y se sent plus celui-là avec sa bricole”, désignant un jeune conducteur au volant d’une petite cylindrée qui le double à toute vitesse !
Dictionnaire
Acch | A nos âges |
Amerloques | Sous-culture (afro-amerloque) |
Bérégovoyou | Bérégovoy |
Bigorneau | Téléphone |
Bled Pourri (le) | Paris |
Bolcheviks | Communistes |
c.. bénite | Cohn-Bendit |
Chabana (la) | Chaban-Delmas ? |
Charlots (les) | les hommes politiques |
Colonel Gaulle | De Gaulle |
Communards | ? |
Compresseur | Musique moderne avec percussions |
Couveuse de Murville (la) | |
Gamoilles (les) | Les gamins |
Grand Charles | De Gaulle |
Grand Niquenndoule | |
Grand Roquentin | De Gaulle |
Grand Sémaphore | De Gaulle |
Gueuse (la) | Guerre 14/18 |
Kroutchef | Kouchner ? |
La tricoteuse | |
Liberté, Egalité, Poil au nez | |
Malher | Quel malheur ? |
Ocran | Christine Ockrent |
ORTF | Télé |
Ploutocrates | |
Postier (le) | Besancenot |
Premier sinistre | Premier ministre |
Quicaillerie japonaise | |
Tas de poils | La chatte |
THV (le Train à Horaire Variable) | le TGV |
Tribu (la) | La famille |
Yakof | |
Yoguinge (mon) | son pantalon |
Yospine | Lionel Jospin |
Zinzin | Tout appareil électronique qu’il ne savait pas utiliser |
Zoulou | Musique de… |
Texte écrit par Pierre Staelen, complété par “la Tribu”
Je peux rajouter:
“y se sent plus celui-là avec sa bricole” –> jeune conducteur au volant d’une petite cylindrée qui le double à toute vitesse!
“j’m’avo dit j’vais aller voir Titoya” –> formule consacrée pour le retour à la maison du 22 avenue Bailly Ducroquet le soir après le travail, précédée d’un sifflement caractéristique. Titoya = ma petite Lola = le surnom donné par Mamie Marie Madeleine à sa fille Solange, et prononcé par Dominique bébé
C’est fait ! 🙂
Il parlait aussi de la Stroumpf (je ne sais pas comment l’écrire) : ça sent la stroumpf = ça sent la mer**