Il était une fois en France – Livre 1 : L’aventure d’une vie (Pâques – Juillet 2005)

Chapitre 2
La concrétisation


Ca avait été une reprise des cours atroce. Pire que tout ce que Xavier avait connu jusque là. L’approche du bac de français rendait le prof complètement fou. C’est vrai que la rentrée des vacances de pâques devait être particulièrement stressante pour lui, mais quand même… Quand on est prof, on doit avoir la bonté de ménager ses élèves. C’est la moindre des choses tout de même.

De plus, il n’avait rien dit à ses sœurs de son idée de voyage car il ne voulait pas qu’elles dissuadent Marianne avant qu’elle ait pris sa décision. Car il savait qu’une fois qu’elle aurait accepté, elle ne reviendrait pas sur sa décision. Elle ne revenait jamais sur ses décisions…

C’était une femme de 75 ans, petite et menue, très énergique, le cheveu encore noir, et paraissant 20 ans de moins que son âge. Sa fille, la mère de Xavier, lui ressemblait d’ailleurs comme deux gouttes d’eau. Elle avait été très belle dans sa jeunesse. Il lui restait encore ce petit charme et ce petit pétillement dans les yeux qui plaisaient à tout le monde. Et elle était têtue, ce qui l’empêchait de revenir sur sa parole. C’est cela que Xavier appréciait le plus chez elle (en plus de son infinie gentillesse accessoirement). Et également sa grande disponibilité après la disparition des parents de Xavier…

 

Une semaine après la rentrée, Xavier sortait de cours, dissertant sur la fuite en avant du monde (son sujet préféré) avec Olivier et Quentin (le fameux troisième larron du voyage). Leurs doux éclats de voix résonnaient dans toute la rue. Puis la sonnerie du portable de Xavier retentit. Il regarda l’écran et sourit : c’était Marianne. Il décrocha.

« Allo ?

-Xavier, c’est moi.

- Oui mamie.

-C’est bon, je vous accompagne.

-Merci.

-Allez à bientôt.

-Ciao »

Il raccrocha. C’étaient de grands bavards tous les deux.

Il se tourna vers Quentin et Olivier.

« C’est bon, ça se fait »

Un passant qui serait arrivé dans la ruelle à ce moment aurait pu se demander si il ne venait pas de débarquer un soir de coupe du monde après une victoire de la France tellement les cris de joie et les gesticulations de Quentin et Olivier étaient impressionnants.

Xavier, de son côté, était pensif. Il fallait maintenant agir vite.

« Bon allez, dit-il, je vais voir Eva.

-Tu vas finir par sortir avec elle, fit remarquer Quentin avec tact.

-Je sors déjà avec elle, boulet… »

Et sur ces bonnes paroles, il s’en alla. En chemin, il pensa à tout ce qu’il avait à faire, il n’allait pas pouvoir passe beaucoup de temps avec Eva… Peu importe, il y a des priorités dans la vie ! La sécurité de sa grand-mère passait avant tout.

***

Eva Dugas était toujours émerveillée en voyant arriver Xavier. Il avait tout ce qu’elle aimait chez un garçon : des cheveux noirs mi-longs, les yeux marron, il était grand, et il n’était pas toujours bien rasé, la voix grave. Dieu sait pourquoi –elle ne le savait pas elle-même- ça la faisait craquer.

Mais le Xavier qui arrivait là avait l’air à la fois heureux et soucieux : un curieux mélange qui pouvait laisser présager le meilleur comme le pire. Eva décida donc de se préparer à encaisser le pire, comme à vivre le meilleur.

« Mademoiselle…

-Monsieur… »

Leurs dialogues commençaient toujours comme ça.

Il l’embrassa, puis lui prit la main, et ils se mirent à marcher dans le parc.

Le parc de Sceaux n’était pas spécialement beau à cette époque de l’année, mais c’était à cet endroit qu’ils s’étaient rencontrés, et comme l’amour rend aveugle, ils le trouvaient magnifique à toute époque de l’année.

 

En effet, bien qu’ils soient dans le même lycée, c’était dans ce parc qu’ils s’étaient rencontrés six mois avant. Ca avait été très romantique. C’était un dimanche. Xavier faisait son footing avec ses sœurs, et à une intersection entre deux petites allées, il n’avait pas bien regardé, et était rentré dans Eva. Ils étaient tombés tous les deux, abruptement sur le sol. Eva était furieuse car elle portait une de ses jupes favorites. Bien que Xavier se soit excusé, elle était partie presque en courant après avoir veillé à lui mettre une baffe. Xavier était immédiatement tombé sous le charme. Il s’était mis en tête de tout faire pour lui reparler. Puis il l’avait revue au lycée, donc il l’avait abordée pour l’inviter au restaurant pour s’excuser. Elle avait beaucoup hésité avant d’accepter, mais elle s’était dit que cela lui ferait toujours un repas de gagné. Ils avaient ensuite fait plus ample connaissance, avec la fin que l’on sait…

 

Mais ce jour-là, les allées étaient quasiment vides, et ils pouvaient se promener tranquillement en amoureux, comme ils aimaient le faire. Il n’y avait aucun poivrot pour leur crier : « Une pièce les tourtereaux ». Et il n’y avait aucun enfant pour faire : « Maman, maman, ils dont quoi les gens ? ». Ils étaient donc entièrement tranquilles.

Mais Xavier avait quelque chose d’important à dire à Eva et il ne savait pas par où commencer. Comme c’était un garçon cartésien, il décida de commencer par le début.

« Ecoute Eva, je ne peux pas rester longtemps là, il va falloir que je parte d’ici 10 minutes, j’ai des trucs importants à faire…

-Raconte, répondit-elle. »

Il lui raconta qu’il avait un voyage à vélo à préparer, et qu’il devait s’y prendre le plus tôt possible avant d’être pris à la gorge par les révisions.

Ce n’était pas entièrement vrai. Il avait d’autres choses, en rapport avec le voyage à vélo à faire, mais beaucoup plus importantes. Mais il ne pouvait pas lui dire. Elle l’en dissuaderait. Elle ne comprendrait pas les raisons qui le poussaient à faire cela.

Et en plus, il n’avait pas le droit de lui dire. Donc la question ne se posait pas.

« T’as vraiment de ces idées, parfois, dit-elle. Et pourquoi pas en bateau tant que tu y es ?

-Il n’y a pas la mer à Jougne.

-Ah bon. Et je ne peux pas t’aider à préparer ?

-Non, je préfère m’organiser seul, je serai plus efficace.

-Bon bah, je t’appelle ce soir.

-Okay à toute »

Elle l’embrassa et s’en alla. Il la regarda partir. Elle était vraiment belle. Ses longs cheveux blonds étaient attachés en un chignon et une mèche retombait délicatement sur son front. Ses yeux bleus perçants l’avaient toujours séduit. Elle disparut à un tournant. Xavier partit de son côté. Il fallait d’abord s’occuper de l’itinéraire. Pour cela, il connaissait l’homme de la situation. Ensuite il s’occuperait des choses plus sérieuses…

***

Eva était pensive en rentrant chez elle. Xavier ne lui avait pas tout dit, c’était évident. Mais ce n’était pas ça qui la gênait le plus, c’était la lueur triste qu’elle avait vue dans son regard. Quoiqu’il arrive pendant ce voyage, Xavier allait être amené à prendre des risques, elle l’avait lu sur son visage. Elle commençait à bien le connaître, sauf sur un point : la disparition de ses parents. Il lui avait dit qu’ils étaient morts dans un accident de voiture, mais elle ne le croyait pas. Elle ne lui avait jamais dit, évidemment, de peur de le blesser. Mais elle savait qu’elle découvrirait la vérité un jour. Et elle savait que Xavier n’avait rien à se reprocher. C’était un type bien. Un vrai gentil garçon dont toutes les jeunes filles rêvent. En tout cas c’était l’impression qu’il donnait. Peut-être la façade se craquellerait-elle un jour. Elle sourit à cette pensée, mais son sourire s’effaça en repensant aux risques que son homme allait prendre.

« Ah, se dit-elle, Quentin et Olivier seront là pour veiller sur lui ! Et sa grand-mère aussi ! »

Rassurée, elle sortit ses clés de maison de sa poche et ouvrit son portail. Il y avait de la lumière dans le salon. Sa mère devait déjà être rentrée. Et son père n’était sûrement pas revenu…

***

Xavier Guislain sonna à la porte du 15, rue Ravon à Bourg-la-Reine. Une dame d’une cinquantaine d’année lui ouvrit.

« Bonjour Madame Châtelier, je voudrais voir votre fils s’il vous plaît.

-Entre Xavier, il est dans sa chambre. Tu connais le chemin.

-Merci madame »

Oui, il connaissait le chemin, puisque Jacques ne sortait presque jamais. C’était l’Antre, son Repaire, où il vivait dans son monde informatique, seul domaine où il excellait. On aimerait penser que Jacques était le stéréotype de l’expert en informatique qu’on voit dans tous les films américains. Ce n’était qu’en partie vrai. Il portait certes des lunettes, un bob, et avait son mug à portée de main, mais il était assez normal sinon. Dans la rue, il n’était pas immédiatement identifié comme un « geek ». Par contre, dès qu’il ouvrait la bouche, tous les doutes étaient levés. Son seul souci était son prénom, qui ne sonnait pas très informaticien. Il aurait préféré s’appeler Bill, ou même Jack. Comme quoi la vie est injuste.

Xavier frappa à la porte de la chambre.

« Entrez, » répondit Jacques.

Xavier s’exécuta promptement. Le spectacle qui s’offrait à ses yeux était apocalyptique. La chambre était dans un désordre incroyable. Des disques tapissaient le sol, des livres étaient posés ouverts sur le lit défait, des T-shirts traînaient en boule sur une chaise. Le mot capharnaüm prenait toute son ampleur dans cette chambre. Le rêve quoi…

« Salut gars, dit Xavier en enjambant une pile de CD.

-Salut, répondit Jacques.

-Ca va ?

-Bien, et toi ?

-Ouais bien (il désigna l’écran). Tu tapes tes fiches de français là ?

-Bah il faut bien, hein.

-Ouais moi aussi, je suis dedans là… Et dis-moi, tu pourrais me trouver un truc sur Internet ?

-Ca marche, » répondit Jacques.

Il commença à taper sur le clavier à une vitesse phénoménale. Ses doigts volaient d’une touche à l’autre avec une aisance incroyable. Xavier était admiratif. Mais il n’oubliait pas le sujet de sa visite. Business first.

« Alors, il me faut des itinéraires pour aller de Paris à Jougne, c’est un petit village à la frontière suisse, en passant par les nationales et les départementales. Tu peux me trouver ça ?

-Pas de problème. »

Il recommença à taper frénétiquement sur le clavier. Xavier pouvait à peine voir ses mains. Finalement Jacques s’arrêta.

« Voilà, c’est bon, dit-il en désignant l’écran. Tout est tracé, t’as tous les itinéraires. T’as plusieurs possibilités avec à chaque fois la distance et la dénivellation. Il y a même les hôtels et chambres d’hôte sur ta route et le logiciel te propose un découpage de ton parcours en fonction de ton âge et de ton poids.

-Okay, parfait, répondit Xavier. Tu me l’imprimes ?

-Pas de problème. »

Xavier avait un faible pour l’imprimante de Jacques qui était tellement performante qu’elle expulsait les papiers en l’air une fois qu’ils étaient imprimés. Un très bon travail pour les réflexes.

Une fois les itinéraires en main (il avait été particulièrement rapide pour les attraper au vol), il remercia son ami et prit congé. Il avait des choses plus sérieuses à faire à présent…




Il était une fois en France – Annexes


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