Chapitre 3
Le cabinet du ministre
Xavier avait un secret. Oh pas de ceux qui sont honteux, ou que l’on cache pour éviter les regards assassins. Non, un secret très honorable : il travaillait pour le gouvernement. Rien de bien excitant, juste un job d’indicateur au lycée Lakanal, mais il avait un poste. Et cela leur permettait de vivre, à lui et à ses sœurs. Car aucune des deux n’avait encore de travail.
Il ne rendait pas de comptes au ministère, car il n’était pas officiellement déclaré comme travailleur de l’état, mais au ministre de l’intérieur directement. Xavier admirait beaucoup cet homme qui avait toujours su s’y prendre avec lui et qui le traitait avec beaucoup de respect.
Mais aujourd’hui, il voulait lui demander une faveur. Il savait que le ministre avait de grandes chances de refuser, mais il devait tenter le coup quand même. Les enjeux étaient trop importants.
Xavier arriva donc devant le domicile du ministre, à Neuilly-sur-seine, dans un immeuble luxueux. Il frappa à la porte du domicile du ministre de l’intérieur. Sa femme lui ouvrit. Elle afficha un sourire radieux en le voyant :
« Bonjour Xavier !
-Bonjour madame. Excusez moi de vous déranger. Votre mari est-il là ?
-Oui Xavier.
-Je peux lui parler ? C’est important.
-Bien sûr. Entrez. »
Xavier entra et attendit dans le vestibule. Il adorait vraiment cette maison. Elle alliait classique et modernité avec tellement de talent ! Et elle était si grande. Il n’avait jamais eu l’occasion de la visiter en entier, mais il imaginait bien de grandes chambres avec lit à baldaquin, avec des toiles de maîtres aux murs, et une salle de bain ultramoderne attenante. Son rêve…
« Xavier ? »
Elle était revenue.
« Il va vous recevoir.
-Merci madame. »
Elle le conduisit jusqu’au bureau personnel du ministre que Xavier connaissait si bien pour avoir passer des heures à faire ses rapports à son supérieur. Le ministre voulait savoir ce qui se passait au lycée Lakanal car la fille d’un dangereux trafiquant y été scolarisée. Il ne savait pas qui c’était, mais avait demandé à Xavier d’identifier la personne. Depuis 2 ans que Xavier menait l’enquête, il n’avait rien su. Peut-être la jeune fille même ne savait-elle pas que son père était un dangereux hors-la-loi. Peu importe car c’était ce même personnage qui amenait Xavier ce jour-là.
« Ah entrez Xavier, dit le ministre en se levant pour lui serrer la main.
-Excusez moi de vous déranger à votre domicile monsieur le ministre, mais l’heure est grave, dit Xavier en saisissant la main franche et ferme qui s’offrait à lui.
-Eh bien, qu’y a-t-il ?
-Des problèmes à la frontière suisse.
-A la frontière suisse ?
-Oui. Des problèmes de trafic d’armes, de drogue.
-Mais je pensais que c’était fini depuis longtemps ça.
-C’est ce qu’on a annoncé aux média monsieur le ministre, mais c’est pas du tout le cas. Je reviens du jura, et je peux vous dire que le trafic continue de plus belle. Les policiers locaux ne savent plus quoi faire. Et ceux qui pourraient faire quelque chose sont corrompus.
-Vous êtes sûr de ce que vous avancez ?
-Tout à fait sûr monsieur le ministre, c’est un petit réseau très bien organisé, mené par l’homme dont vous m’avez demandé de trouver la fille. L’homme sans visage… Mais j’ai une solution monsieur le ministre. J’ai appris qu’un homme très riche rachetait toutes les maisons de Jougne, c’est le dernier village avant la frontière. Ma grand-mère possède une maison dans ce village. Et c’est la seule à ne pas l’avoir vendue. Donc cet été, je vais faire un voyage à vélo avec des amis et elle pendant la première quinzaine de juillet. Et vous, vous allez envoyer le commissaire Georges pour nous filer. Comme cela, si on tente de nous supprimer pendant ce voyage où on sera des cibles faciles, c’est que l’homme qui rachète ces maisons, c’est le chef de ce réseau de trafic. Et ça me donne l’occasion aussi de protéger ma grand-mère qui sera plus en sécurité avec moi que seule à Jougne. Ma famille a déjà beaucoup donné de vies à la France. Je ne voudrais pas qu’elle en donne une de plus. »
Voilà, il avait dévoilé son plan au ministre, il ne lui restait plus qu’à prier pour que celui-ci accepte. Et Xavier ne voulait personne d’autre que le commissaire Georges pour les filer. Il l’estimait beaucoup et lui faisait entièrement confiance. Et il le savait capable de gérer des situations difficiles. La seule autre personne que Xavier aurait accepté pour les couvrir pendant la mission aurait été le ministre lui-même. Mais bon, il ne faut pas rêver…
« Xavier, vous êtes jeune, vous êtes un très bon informateur, mais…
-Je serai à la hauteur. »
Le ministre de l’intérieur n’avait pas l’habitude d’être interrompu. Il leva les yeux vers Xavier et y lut toute la détermination du monde. Il soupira.
« Faites le alors. Passez voir Pi avant, il vous briefera sur tout.
-Merci monsieur.
-Faites attention à vous.
-Oui monsieur. »
Xavier prit congé et sortit. Il lui fallait maintenant passer au laboratoire de Pi, situé près de Gare du Nord. Pi était le concepteur de tous les gadgets et équipements du service. Habituellement, il ne fournissait à Xavier que des micros ou des instruments pour prélever des échantillons. Des trucs de chimiste quoi. Mais là il allait avoir besoin d’autre chose.
Bien sûr, Pi n’était pas son vrai nom. C’était une sorte de « nom de scène », en référence au fameux Q des films de James Bond. Ses collègues l’avaient vite surnommé Pi, non seulement à cause de ce qu’il faisait, mais en plus parce que c’était un ancien prof de physique. Cela les avait faire beaucoup rire au moins pendant une semaine. Le rire s’était depuis estompé, mais le surnom était resté.
Xavier retourna donc chez lui dans une voiture affrétée par le ministre, puis il repartit et prit la ligne B du RER, descendit à Gare du Nord, sortit et se dirigea vers l’immeuble en face. Il composa le code, salua le concierge (qu’il savait être un agent du gouvernement), monta deux étage, frappa deux coups forts et deux coups faibles à une porte en bois. Celle-ci s’ouvrit et une des assistantes de Pi, une femme d’une quarantaine d’années, l’accueillit. Une bavarde… Il allait encore perdre du temps… Sans compter l’énervement !!
« Bonjour, vous êtes monsieur… ?
-Guislain. Xavier Guislain, et vous, vous êtes madame… ?
-Mademoiselle. Françoise Bernard. Pi vous attend. »
Une deuxième assistante arriva. Elle était nouvelle, et visiblement contrariée par la présence de Xavier. Elle lui fit d’ailleurs un des plus charmants accueils que l’on peut recevoir en travaillant pour un gouvernement.
« Que fait ce gamin ici ? demanda-t-elle.
-Votre gentillesse me va droit au cœur, madame, répond froidement Xavier.
-Mademoiselle !
-Peu importe, s’emporte Xavier, il faut que je voie Pi, j’ai pas que ça à faire.
Une troisième assistante arriva en courant, souriant aux deux autres. Elle avait l’air diablement cruche.
« Hey, les filles, ça vous dirait d’aller au night-club ce soir avec Gigi, Sarah, Blanche et toutes les copines, ça va être une soirée de foliiiiiiiie ! »
Elle se tourna brusquement vers Xavier, son regard devint dur et son ton fort peu aimable, comparable à celui de sa collègue arrivée en cour de route.
« C’est qui ce morveux ? On n’a pas de sucettes ici, dégage, on a du boulot !
-Okay, c’est bon, j’en ai assez vu, je me casse ! »
Xavier tourna les talons. Il était furieux. Il perdait son temps avec ces personnes. Il entendit un éclat de rire, se retourna et constata que les 3 assistantes étaient hilares. C’était leur idée du bizutage… Françoise Bernard fut la première à reprendre son souffle.
« Mais c’est bon, on plaisante gamin, tu vas les avoir tes sucettes, euh tes gadgets.
-Suivez-nous. Alors comme ça vous allez passer votre bac français, je me rappelle quand j’étais au lycée, j’avais un prof de français é-pa-tant et c’est lui qui…
-LES GADGETS !!!!!! »
C’était sorti tout seul. Il n’en pouvait plus. Il avait tellement de choses importantes à faire, et ces jeunes femmes ne pensaient qu’à rire. Il les suivit dans les longs couloirs de cet appartement, et finalement ils arrivèrent à l’atelier de Pi. Des inventions toutes plus saugrenues les unes que les autres étaient entreposées, et au fond de la salle, Pi travaillait délicatement avec un fer à souder sur une nouvelle invention. Il avait l’air très concentré.
« Bon, normalement, si j’arrive à inverser le générateur anti-protons et à provoquer une réaction géothermique à partir de l’accélérateur de particules, ça devrait marcher et…
-Hum hum hum…, toussota Françoise Bernard.
-Quoi encore ?? »
Pi n’était pas de bonne humeur. Il n’avait jamais été particulièrement jovial, mais là il semblait vraiment broyer du noir. Sa nouvelle invention ne marchait peut-être pas. Françoise Bernard ne se laissa pas démonter, elle le connaissait depuis longtemps après tout.
« Le jeune Xavier Guislain est là Monsieur.
-Ah oui, c’est vrai. Bonjour gamin, dit-il en se tournant vers Xavier.
-Bon, écoutez, rétorqua Xavier, exaspéré, je vais effectuer une mission dangereuse, donc je ne veux plus qu’on m’appelle « le gamin », « le nain » ou « le gnôme », okay ?
-Okay, répondit Pi évasivement, viens voir par là petit. Tout d’abord voici ton nouveau vélo de course. On avait des bons d’achat chez Décathlon au ministère donc on t’a acheté le moins cher, donc le moins performant, pour que tu fasses quand même un peu de sport et pour pas trop augmenter le trou du budget de l’état.
- Ah merci, je trouve ça très généreux de votre part ! Et vous n’avez pas installé de gadgets dessus, pas de rétro-fusées ou de lance-missiles, un truc discret quoi.
-Non, ça alourdirait trop le vélo, tu ne pourrais plus le soulever, » répondit Pi avec sérieux.
Il se dirigea vers son atelier et y prit un téléphone portable gris à clapet. Puis il se retourna vers Xavier.
« Bon, ensuite, le portable. Le forfait est payé par le contribuable et tous les numéros importants sont rentrés bien sûr. Fais très attention à ce que je vais te dire, si tu appuies sur ce bouton sur le côté et que le clapet est fermé, cela déclenchera un laser assez puissant pour trancher tes liens si tu es fait prisonnier.
-Cela n’arrivera pas, répondit Xavier, sûr du contraire, en prenant le téléphone.
-On ne sait jamais… Bon, ensuite, ce briquet en forme de clé à mollette qui peut te servir à allumer des feux et à resserrer les boulons sur ton vélo. Si tu actionnes 5 fois de suite le briquet, cela fera sonner l’émetteur du commissaire Georges qui t’appellera sur le portable pour que tu confirmes la demande d’aide.
- Mais c’est débile, si je suis en danger, je ne pourrai pas décrocher !
-C’est la procédure gamin.
-Mais je risque ma vie, moi !
-Ca n’est pas de mon ressort, lui répondit Pi en fourrant le briquet dans la poche de la veste de Xavier. Alors il y a encore ce paquet de cigarettes…
-Ah ouais, s’enthousiasma Xavier, un paquet de cigarettes dans lequel il y a une cigarette explosive, une qui fait lance fléchettes, une qui fait lance-flammes et une autre qui fait bazooka !
-Non, répondit Pi calmement, en fait, j’ai l’habitude d’offrir un cadeau aux agents que j’équipe et, vu que tu es un gamin, j’avais pas trop d’idées alors j’ai pensé à ça. Elles sont en chocolat je reviens juste de la boulangerie.
-C’est drôle ça dites donc…
-Et j’ai oublié le revolver, reprit Pi, imperturbable.
-Ah oui, c’est encore un faux, c’est ça ?
-Non, c’est un vrai, répondit Pi imperturbablement. Tu sais t’en servir ?
-Oui, c’est bon, j’ai vu des westerns.
- Bon, au cas où tu serais pris ou tué…
- L’agence niera avoir connaissance de mes activités, je sais.
-Désolé petit, mais il fallait que je le précise. Là encore, c’est la procédure. Allez je t’ai donné tout ce que j’avais pour toi. Maintenant dégage. Au revoir et bonne chance.
-Au revoir Pi, répondit Xavier.
-Salut gamin, lui lancèrent en cœur les assistantes.
-Salut les filles ! Merci du soutien, répondit-il ironiquement.
- Hey, fais pas cette tête là, lui dit Françoise Bernard, tu vas la réussir cette mission ! Allez, on t’invite à manger ! Tu nous raconteras ce que tu comptes faire pour coincer les trafiquants et l’itinéraire que tu vas suivre.
-Allez on y va, » répondit Xavier.
Le repas avait été succulent, François Bernard les avait emmenés dans un excellent restaurant parisien et Xavier avait passé une très bonne soirée. Ils avaient bien bu, bien mangé et bien rigolé. C’était exactement le genre de détente dont Xavier avait besoin dans les circonstances dans lesquelles il se trouvait. Etant donné que ces demoiselles travaillaient pour le gouvernement, Xavier n’avait pas hésité à leur faire part de son itinéraire et de son plan. Ce n’est pas tous les jours qu’il pouvait se vanter devant de jeunes secrétaires des services secrets. Si Eva avait su ça, elle lui en aurait voulu. Peu importe, se dit-il, cela fait partie de mon boulot. Et puis elle ne le saurait jamais.
Il rentra tard chez lui. Françoise Bernard le raccompagna en voiture. Jeanne et Sylvie étaient déjà couchées. Il monta dans sa chambre et s’effondra sur son lit, tout habillé. Il s’endormit tout de suite. La journée avait été à la hauteur de ses espérances.
Il était une fois en France – Annexes