Chapitre 6
Le départ

Xavier n’avait pas dormi la veille du départ. Toute la nuit, il avait tourné et retourné les détails du voyage dans sa tête. Il sentait le poids du monde entier peser sur ses épaules. Certes, elles n’étaient pas frêles, mais bon quand même pas si larges que ça…
Les deux autres garçons étaient dans un état d’excitation proche du délire. Eux aussi n’avaient pas dû beaucoup dormir… Mais pas vraiment pour les mêmes raisons.
Les trois garçons et Marianne prirent leur petit déjeuner tôt avec Jeanne et Sylvie, puis vers 8h, il fut temps de partir. Ils sortirent les vélos de la maison du 15 rue des Lilas à Antony, chargèrent leurs bagages dans la voiture de Marianne, puis allèrent faire leurs adieux à Jeanne et Sylvie. Marianne recommanda aux filles d’être sages, comme fait toute grand-mère qui se respecte. Xavier fit de même. Il serra ses sœurs contre lui, puis fit mine de se retourner, mais Sylvie l’interpella :
« Xavier ! »
Il se retourna.
« Oui, Sylvie ?
-Sois prudent. Appelle nous dès que tu peux, d’accord ?
-Ne t’inquiète pas. »
Puis il enfourcha son vélo, échangea un regard avec Quentin et Olivier.
« A vous l’honneur messieurs, dit-il.
-Le premier arrivé à Jougne a gagné, » dit Quentin.
Et il partit à toute allure.
« Bon bah faut qu’on y aille, dit Olivier.
-Je crois bien, répondit Xavier.
-Après toi.
-Non, je t’en prie, vas-y. »
Et ils partirent. Marianne démarra la voiture, les dépassa et se dirigea vers le prochain point de rendez-vous qu’ils s’étaient fixés. Cela lui semblait bien commencer.
Xavier laissa pendant Quentin et Olivier devant pendant les premiers kilomètres et pensa à Eva. Elle se doutait de quelque chose, c’était évident. Mais il ne lui avait rien dit. Il lui avait juste dit qu’il ne pourrait pas lui téléphoner pendant le voyage. Inutile de dire qu’elle avait râlé. Mais si sa mission se passait bien, il serait beaucoup plus heureux avec elle car il pourrait quitter les services secrets et lui dire toute la vérité. Il avait hâte de voir la lueur d’admiration qui emplirait les yeux de sa jolie blonde à cet instant. Cela lui donna de l’espoir. Mais avant, il avait un devoir à accomplir…
La première journée se passa très bien. La sortie de Paris ne fut pas facile car circuler à vélo au milieu des voitures n’était pas aisé. Mais une fois qu’ils arrivèrent en rase campagne, ce fut le bonheur. Ils étaient motivés et gonflés a bloc. Depuis le temps qu’ils attendaient ce voyage ! Le vent qui soufflait sur leur visage les grisait, une bonne humeur tenace les emplissait : les garçons étaient heureux. Même Xavier oublia sa mission pendant cette journée et s’adonna au plaisir de ce sport intensif. Ils firent une centaine de kilomètres ce premier jour et s’arrêtèrent dans une chambre d’hôte dans un petit village. La propriétaire leur fit un accueil des plus chaleureux. Les garçons prirent possession de leurs chambres, prirent une douche et se retrouvèrent dans la chambre de Quentin pour discuter du lendemain. Olivier n’était pas encore arrivé. Olivier et Xavier étaient allongés chacun sur un lit et avaient juste la force de discuter. Mais ils entendirent le pas guilleret de Quentin dans l’escalier et surent qu’il avait sûrement quelque chose de marrant à leur raconter. En effet, ça ne rata pas.
« Eh les gars, je viens de discuter avec le proprio de la chambre d’hôtes et il m’a raconté une blague superbe. Vous voulez l’entendre ?
-On préfèrerait pas, répondit gentiment Xavier.
-Mais si on n’a pas d’autre choix, vas-y, renchérit Olivier.
-Vous savez quelle est la différence entre un crocodile et un alligator ?
-On aurait peut-être pas dû l’autoriser finalement, dit Xavier.
-C’est caïman pareil !
-La classe mondiale, dit Xavier, consterné.
-Tu vois la porte, Quentin ? Bah tu vas derrière, lui ordonna Olivier.
-Bon, sans déconner, reprit Quentin, je suis le seul sérieux ici. Il faudrait un volontaire pour aller faire les courses au village qui est à 2km d’ici. Ta grand-mère est trop crevée, Xavier, alors je propose que tu y ailles, toi !
-Je propose que non, répondit sèchement Xavier.
-Moi, j’ai un cor aux pieds alors si je veux rouler demain, je veux être en forme !
-Oui, et moi, je dors, dit Olivier.
-Bande d’enfoirés, j’y vais ! »
Et il partit. Il avait râlé par principe et pour que ses amis ne se doutent de rien, mais cela l’arrangeait bien car il allait pouvoir faire son rapport au commissaire Georges. Et lui dire que ce n’était peut-être pas utile, mais plutôt dangereux qu’ils se voient tous les jours comme ça. Il prit le chemin du village voisin, et fit les 2km en sifflotant. A un moment tout de même, il se retourna car il avait l’impression d’être suivi. Mais il ne vit personne.
« Ca y est, je devient parano, » se dit-il.
Il arriva finalement au village, entra dans le supermarché, fit ses courses, et retrouva le commissaire Georges à la sortie. Georges était un très grand homme, un peu chauve, qui portait des petites lunettes noires et avait un gros cigare dans la bouche. Il portait un costume cravate, et avait une paire de jumelles autour du cou. Personne dans les services ne connaissait son nom de famille. Tout le monde l’appelait « commissaire Georges ». Alors qu’il n’avait même pas le grade de commissaire. Il y avait une part de mystère chez cet homme. Son visage s’éclaira en voyant arriver Xavier.
« Bonjour monsieur Guislain.
-Commissaire Georges.
-La mission se passe bien ?
-Rien à signaler pour l’instant. Des douleurs aux jambes seulement.
-Je ne suis pas étonné.
-J’ai juste une remarque à faire, monsieur le commissaire.
-Je vous écoute, Xavier.
-Je crois qu’il ne faut qu’on se voie pendant la mission que s’il y a vraiment un problème. Sinon ça risque de ne pas être discret. Et ça pourrait devenir dangereux.
-Oui, j’y ai pensé aussi. Je suis d’accord. Appelez moi s’il y a quoi que ce soit. Je continue à vous filer dès demain matin en tout cas. Ce soir, je ne pense pas que ça soit nécessaire.
-Je ne crois pas non plus monsieur le commissaire.
-Bonne soirée Xavier.
-Au revoir commissaire Georges. »
Il s’en alla. Décidément, il admirait ce commissaire qui n’en était pas un !
Il prit le chemin pour retourner à la chambre d’hôtes. Il se sentait vraiment suivi là. Il se retourna à plusieurs reprises, mais ne vit personne. La route était sinueuse, donc il ne pouvait pas voir loin. Puis il arriva dans une forêt. Il commençait à faire sombre et il avait toujours cette désagréable impression d’être suivi. Il continua quand même sa route. Puis, juste après un tournant, il vit un homme allongé sur la chaussée, probablement inanimé. Il courut vers lui, s’accroupit et prit le pouls de l’homme. Il était vivant. Xavier fut soulagé. L’homme avait vraisemblablement trébuché et était assommé. Une chance qu’aucune voiture ne soit passée par là entre-temps. Xavier sortit son portable pour appeler une ambulance. Mais soudain il entendit un craquement derrière lui. Il eut juste le temps de se retourner pour voir un énorme bâton s’abattre sur lui. Puis il sombra dans le néant…
Quentin tournait comme un lion en cage dans la chambre d’hôte. Xavier était parti depuis deux heures maintenant. Il aurait dû rentrer il y a longtemps. Il sortit de sa chambre et alla voir Olivier pour lui faire partager son inquiétude. Il le trouva dans le même état que lui, inquiet. Ils décidèrent d’aller voir Marianne pour savoir si Xavier ne l’avait pas appelé. Elle était dans la cuisine, en train de lire Madame Bovary, un de ses romans préférés pour son absurdité. Cela la détendait de lire cette œuvre de Flaubert. C’est assez rare pour être signalé.
« On est inquiet, madame, lui dit Quentin, Xavier n’est pas encore rentré, je pense qu’on va partir à sa rencontre.
-Oui, je suis inquiète aussi, répondit-elle, ça me rassurerait que vous y alliez parce que ça fait quand même deux heures qu’il est parti !
-On reviendra dans pas longtemps, » lui assura Olivier.
A cet instant, Xavier arriva dans la cuisine, les bras chargés des courses qu’il avait faites. Il avait l’air essoufflé. Il déposa en vrac ses sacs sur la table et s’effondra sur une chaise.
« Désolé, je me suis perdu, leur dit-il.
-Ah bah on commençait à s’inquiéter, lui dit Marianne d’un air réprobateur.
-Ouais mais il y avait du monde et je me suis perdu alors j’ai perdu du temps ! Et ensuite j’ai trouvé un homme inanimé sur la route, j’ai dû m’occuper de lui et attendre sa femme qui est venue le chercher.
-C’est pas grave. Bon, vous devez être exténués, alors on peut aller manger et vous vous coucherez pas trop tard, okay ? dit Marianne.
-Ca marche, » répondit Quentin avec enthousiasme.
Il était toujours très enthousiaste à l’idée de manger. Pourtant, il n’était pas gros, mais plutôt fin et élancé. Mais il appréciait la bonne cuisine. C’est comme ça.
« Bon, qu’est-ce qu’on attend pour manger alors ? demande Xavier
-Toi, Xavier, » répond malicieusement Marianne
Le repas fut délicieux. Xavier avait acheté des cordons bleus, et Marianne les avait cuisiné avec des petits pois, et les garçons récupéraient peu à peu de l’énergie. A la fin du repas, les garçons débarrassèrent, puis se rassirent à table et tous les quatre se mirent à discuter. Puis Xavier se leva.
« Bon, je vais me coucher, moi, dit-il. A plus les gars, et bonne nuit !
-Bonne nuit type, dit Olivier.
-Repose-toi bien de tes 4km de plus que nous, » lui lança malicieusement Quentin.
Marianne et les deux autres garçons le regardèrent sortir de la pièce avec une démarche en canard due à la selle de son vélo, puis, une fois Xavier hors de vue, Quentin prit la parole.
« Vous trouvez pas qu’il est bizarre depuis qu’il est revenu des courses, Xavier ?
-Il est contrarié d’avoir eu à faire les courses et il est fatigué, c’est tout ! Puis il a dû porter secours à quelqu’un, c’est pas toujours facile, lui fit remarquer Marianne.
-Mais tu racontes n’importe quoi, Quentin, s’énerve Olivier, il est pas bizarre du tout !
-Je t’assure que si ! »
En effet, Quentin en était persuadé, il se doutait que quelque chose clochait, sans arriver à définir quoi. Marianne vit bien qu’il était soucieux, donc elle voulut le rassurer.
« Je pense surtout que tu es fatigué aussi et que tu te fais des histoires, lui dit-elle, va te coucher aussi et demain matin, tu seras prêts à faire 100km !
-Vous avez peut-être raison. Bonne nuit.
-Bon, j’y vais aussi, reposez-vous bien, Marianne !
-Merci Olivier, toi aussi ! »
Et elle se retrouva seule dans la cuisine. Certes, Xavier lui avait paru bizarre, mais il avait dû beaucoup se dépenser pendant cette journée, il avait donné le meilleur de lui-même. Et en plus, on approchait de la date anniversaire de la disparition de ses parents, donc cela devait être dur pour lui. Oui, il n’y avait pas de quoi s’affoler. Le plus gros problème était le temps prévu pour le lendemain : on annonçait de la pluie. Les cyclistes n’allaient pas rigoler. Mais bon, ils l’avaient voulu. Elle se leva et se dirigea vers sa chambre.
Il était une fois en France – Annexes
