Chapitre 8
La suite du voyage

Le voyage à vélo en lui-même se passait très bien. Les garçons pédalaient tous au même rythme et Marianne assurait l’intendance avec un grand professionnalisme. Bref, c’était satisfaisant à tout point de vue pour tout le monde, bien que très fatigant.
Mais toutefois une ambiance étrange régnait. Xavier avait fait part de ses soupçons au commissaire Georges, Marianne trouvait que son petit-fils agissait bizarrement, et Quentin ne reconnaissait plus Xavier à certains moments.
Mais celui qui cachait le mieux son jeu était Olivier. Il savait que quelque chose n’allait pas. Et il avait décidé de découvrir le fin mot de l’histoire. Il se disait qu’en écoutant le plus possible et en parlant le moins possible, il en apprendrait beaucoup. C’était sa tactique à présent. Il savait depuis longtemps que Xavier avait un secret, et là il était déterminé à savoir lequel, car sinon il savait qu’il se retrouverait en danger.
Mais pour le moment, ils roulaient, allant de chambre d’hôte en chambre d’hôte. Xavier n’était pas très bavard, mais Quentin et Olivier plaisantaient sans cesse pendant la journée. C’était leur manière d’affronter la fatigue.
Ce troisième jour se déroula comme les deux autres. Les seules difficultés que les garçons durent affronter furent des intempéries, des douleurs musculaires, et un relief de plus en plus accidenté. Mais l’enthousiasme du premier jour était définitivement retombé, et les inquiétudes prenaient le dessus…
Cette troisième étape se passa quand même très bien et les garçons firent encore une bonne centaine de kilomètre. Cela leur semblait être la distance idéale pour une journée : ni trop long ni trop court. Ils arrivèrent donc à la chambre d’hôte réservée par Marianne pendant la journée a 17h. Olivier et Quentin s’affalèrent chacun sur un lit, comme la veille. Xavier resta avec sa grand-mère dans la cuisine pour discuter.
Quentin trouvait cela étrange. Il décida de faire part de ses inquiétudes à Olivier, qui lui semblait ne s’apercevoir de rien. Peut-être était-il d’ailleurs au courant de quelque chose. Il décida de tâter le terrain. En effet, il lui semblait qu’il passait à côté de quelque chose d’énorme qu’il était le seul à ignorer, vu la tranquillité apparente des autres. Il entama la conversation avec Olivier sur un ton très casual.
« Pff je commence à être légèrement fatigué, là, dit-il.
-Ah bon, je vois pas pourquoi, répondit calmement Olivier.
-T’es marrant aujourd’hui, toi !
-J’ai bien été formé !
-Bon, au fait, je voulais te demander un truc : tu trouves pas qu’il est bizarre Xavier ? »
Olivier réfléchit bien à sa réponse. Si Quentin lui posait cette question, c’est qu’il devait sentir que quelque chose se tramait. Mais lui n’en savait pas assez pour fournir une réponse claire. Et il voulait surtout que Quentin ne s’alarme pas plus avant. Il décida de mentir.
« Non, c’est normal, je pense, on a l’habitude de le voir qu’au lycée et là, on le voit dans une épreuve sportive donc son caractère change, il faut pas s’en inquiéter, il est comme ça !
-Oui, mais c’est bizarre quand même je trouve.
-Tu veux que j’appelle SOS paranoïa ? demanda Olivier pour le détendre.
-Je suis trop fatigué pour entendre ces conneries ! » s’exclama Quentin, agacé.
Il en avait marre que tout le monde prenne tout à la légère pendant ce voyage, alors qu’il flairait le coup fourré. Il nota mentalement qu’il devrait parler sérieusement à Xavier le plus tôt possible…
Pendant ce temps-là, Xavier et Marianne préparaient le repas dans la cuisine.
« Tu te rappelles ce dont on a parlé hier ? demanda Xavier.
-Oui, mais c’est une obsession ! Tu ne veux pas parler d’autre chose ?
-Non car je m’inquiète pour toi. Toute la famille est à Paris j’aimerais plus te voir car à part mes deux sœurs, tu es la seule famille qui me reste ! Et Jougne est très loin de la maison !
-Mais tu viens quand tu veux ! s’exclama Marianne.
-C’est pas le problème, c’est juste un problème de distance. En cas de difficulté que mes sœurs ne pourront pas gérer, quoique Jeanne et Sylvie soient majeures, je ne peux compter que sur toi, et tu es à 500 kilomètres de Paris ! C’est un problème quand même !
-Oui, c’est vrai, répondit pensivement Marianne. Je vais y réfléchir.
-Je suis pas encore majeur, moi, » souligna Xavier.
Marianne ne répondit rien. Elle trouvait étrange ce soudain revirement de son petit-fils. Elle devait réfléchir. Seule.
Le commissaire Georges avait pris une chambre d’hôtel dans le même village que le petit groupe. C’était un petit hôtel qui ne payait pas de mine, mais où les chambres étaient très confortables, spacieuses, et où le dîner était excellent. Il avait reçu un coup de téléphone de Xavier ce soir-là. Ce garçon avait décidément de gros soupçons. Mais cela étonnait le commissaire. Il ne pouvait pas y croire. Enfin Xavier commençait à avoir de l’expérience et savait analyser les réactions des gens. Il avait peut-être détecté quelque chose qu’il n’arrivait pas à exprimer. En tout cas, cela avait l’air de lui peser.
Il écarta tout ça de ses pensées. Il avait besoin de dormir pour être attentif à ce qui pourrait arriver au petit groupe. Il programma son réveil pour sonner à 6h du matin, il se mit en pyjama, et sombra dans un sommeil sans rêves.
Devant l’hôtel où logeait le commissaire Georges se tenaient les deux hommes en noir. Le chef, que Jack appelait Francis, semblait fort irrité.
« Vous êtes certain qu’il loge ici ?
-Certain chef.
-Bon, et vous êtes également certain qu’il file nos oiseaux depuis le début.
-J’ai eu confirmation, chef.
-Mais êtes-vous sûr de votre homme ? Nous n’avons toujours pas eu de résultats concrets. Il ne leur reste que deux jours de voyage, donc une seule soirée en chambre d’hôtes, puis nous devrons intervenir plus violemment.
-Je sais chef. »
Mais cela ne causait aucun souci à Jack. Jean Rousseau était un homme sur lequel il pouvait compter. Il s’était préparé à cette mission avec détermination et professionnalisme. Il réussirait. Il avait juste besoin de temps. Mais c’était justement le temps qui allait leur manquer. Il fallait un moyen de retarder l’arrivée…
« Je sais ce qu’on doit faire, chef, dit Jack. »
Francis esquissa un sourire satisfait. Les deux hommes se dirigèrent vers la chambre d’hôtes où logeait le petit groupe, la regardèrent dans la nuit tombante, puis regagnèrent leur hôtel.
Le lendemain matin, il faisait un temps magnifique. Les garçons ré enfourchèrent leurs vélos et partirent. Marianne resta comme d’habitude pour payer. A la première halte, Olivier se tourna vers Xavier. Il parla avec un ton plein de reproche.
« Dis donc, tu pourrais me dire pourquoi tu encourages ta grand-mère à vendre sa maison, alors que t’avais une opinion complètement opposée à la base ?
-Oui, c’est assez étrange, Xav’, dit Quentin.
-Ecoutez les gars, répondit Xavier avec agressivité, ce qui se passe entre ma grand-mère et moi me regarde, je n’ai absolument aucun compte à vous rendre là-dessus. Et je vous rappelle que je n’ai plus de parents à la maison, alors j’ai peut-être besoin d’un adulte pas loin. C’est peut-être égoïste, mais c’est comme ça. Vous ne savez pas ce que c’est de perdre ses parents dans un accident de voiture…
-Bon, okay, désolé, dit Quentin.
-On oublie, dit Olivier.
-Allez, on roule, » dit Xavier pensivement.
Ils se remirent à pédaler, Xavier en tête cette fois-ci. Quentin était pensif. Xavier ne se servait jamais du fait d’être orphelin pour se justifier. Il trouvait cela dégradant. Et là le sujet n’était pas très grave, ce n’était qu’une maison de vacances. Pourquoi prenait-il tant cela à cœur ? Certes, il devait se sentir seul au milieu de ses deux sœurs, et voulait peut-être un adulte auprès de lui. Mais pourquoi maintenant seulement ?
Xavier revint à leur niveau. Ils continuèrent à rouler en silence pendant quelques kilomètres, puis Xavier prit la parole :
« Désolé les gars, mais bon, la situation est plus compliquée que vous ne l’imaginez. Je vous expliquerai un jour. »
Quentin et Olivier se sentirent soulagés. C’était bien leur ami qui avait parlé là. Il était juste fatigué. Tout allait bien.
Ils arrivèrent vers 18h à la chambre d’hôte, réservée comme d’habitude pendant la journée par Marianne. Elle alla au-devant d’eux en les voyant arriver, l’air alarmé
« Pfff je suis mort, s’exclama Xavier.
-Moi aussi, complètement, renchérit Quentin.
-Quelles petites natures, » critiqua Olivier.
Marianne les interrompit. Elle affichait un air grave.
« Bon, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer, ma carte bleue a été bloquée, il va donc falloir se serrer la ceinture pendant le reste du voyage car vos parents ne peuvent pas nous envoyer de l’argent par la poste vu que nous serons mobiles. Heureusement, j’ai beaucoup d’argent liquide sur moi donc on aura de quoi tenir, mais en n’exagérant pas sur les quantités. On va s’en sortir mais c’est contrariant. »
Le jeunes se regardèrent d’un air catastrophé, puis Xavier prit la parole.
« Ah ouais, c’est très contrariant en effet. On va devoir écourter le voyage et arriver demain.
-Mais on vous fait confiance madame, dit gentiment Olivier.
-C’est sûr, vous avez bien assuré jusque là, souligna Quentin. Il ne nous reste que peu de temps de voyage, vous allez assurer !
-J’espère… Ca va être dur pour moi en tout cas, » soupira Marianne.
Xavier regarda sa grand-mère pensivement…
Les deux hommes en noir observaient la chambre d’hôte en silence. L’histoire de la carte bleue va sûrement déstabiliser la vieille, pensaient-ils…
Ils sourirent tous les deux, et le portable de Francis sonna. Il décrocha.
« Oui, Jean… Il faut que tu mettes le paquet ce soir… N’échoue pas. »
Et il raccrocha.
Pendant ce temps, dans la chambre d’hôtes, Quentin revenait de la cuisine, et vit Xavier dans le couloir. Il parlait doucement au téléphone, en regardant par la fenêtre. Il avait un regard terrible, angoissant. Quentin ne l’avait jamais vu comme ça. Puis Xavier raccrocha, il vit Quentin et son visage s’illumina. Il avait repris sa teinte et son air normaux. Quentin se demanda s’il n’avait pas rêvé…
« Ma grand-mère est toujours dans la cuisine ? demanda Xavier.
-Oui Xav’, répondit Quentin.
-Okay, faut que je lui parle. J’y vais. »
Et il se dirigea vers la cuisine. Il y trouva Marianne en train de mettre la table. Tout en l’aidant, il commença à lui parler.
« Tu as réfléchis à ce que je t’ai dit hier soir ? demanda-t-il.
-Oui, dit-elle, je pense qu’il est temps que tu te prennes en main et de toute façon, s’il y a vraiment un problème je serai toujours à disposition, mais je ne suis pas à ton service 24h/24 ! Il te faut un peu d’indépendance quand même !
-Mais je n’ai que 17 ans !
-Il n’y a pas d’âge pour apprendre à être indépendant, répondit-elle fermement.
-Mais mes sœurs ne sont pas capables de m’aider en cas de réel problème !
-Parce que tu crois que j’en serais capable ?
-Tu as de l’expérience, c’est plus rassurant.
-Bon, quand tu auras fini de dire des conneries, on pourra discuter sérieusement ! »
Elle n’était pas sensible à la flatterie. Xavier aurait dû le savoir. Mais il continua.
-Je ne dis pas de conneries, crois-moi, je ne suis rassuré qu’en présence d’un membre expérimenté de ma famille !
-Je comprends, Je ferai tout pour que tu sois rassuré, mais pas ça ! Je suis désolée. C’est dans ce village que ton défunt grand-père et moi nous sommes connus. C’est très important pour moi. S’il te plaît, arrêtons cette discussion, je suis déjà contrariée par cette histoire de carte bleue.
-D’accord, on n’en parle plus, capitula Xavier.
-Merci, » dit-elle.
Xavier grommela quelque chose et remonta dans sa chambre. Il prit son téléphone et composa un numéro qui lui était familier maintenant.
Plus tard dans la soirée, le commissaire Georges contemplait le sol de sa chambre, interloqué. Ce que Xavier lui avait dit le surprenait au plus haut point. Le jeune homme lui avait demandé d’arrêter la filature. Alors qu’il n’y avait eu encore aucun résultat. Il pensait peut-être pouvoir se débrouiller tout seul…
Après avoir eu Xavier au téléphone, le commissaire Georges avait appelé le ministre qui lui avait dit qu’il devait respecter la volonté de Xavier. C’était le jeune lycéen qui avait monté cette mission, c’était à lui de prendre les décisions.
Après mûre réflexion, le commissaire Georges prit une décision : il allait arrêter de les filer, mais il ne rentrerait pas à Paris. Il allait rester dans ce petit village, pour n’être pas trop loin de Jougne au cas où ça dégénérait. Oui, il allait faire ça…
Il était une fois en France – Annexes
