Sous le soleil de Madère

Chapitre 11
Prison (6 août 2009, 9h à Madère)


            Deux jours s’étaient écoulés depuis la prise de pouvoir de Marcovi et Carlier et Lambruscino croupissaient toujours en prison, dans la même cellule. Leur désespoir était palpable, car ils savaient que personne ne viendrait pour eux étant donnée leur situation de personnes recherchées autant par les rebelles madériens que par le gouvernement portugais. Ils avaient en plus été spectateur impuissants de la prise de pouvoir de Marcovi. Celui-ci était bien entendu venu les voir et leur avait expliqué avec toute l’ironie du monde son lien avec Felipe Castro et Bourieu. Il tenait à ce que les deux hommes connaissent leur contribution à sa prise de pouvoir. Il leur avait même proposé poliment un haut poste dans son administration, mais Lambruscino et Carlier étaient malpolis, donc lui avaient suggéré un autre emplacement pour lesdits postes. Marcovi n’avait bien sûr pas apprécié toute la finesse de leur réponse, donc était reparti en claquant la porte en maugréant des gros mots comme « peloton d’exécution » et « ‘vais les tuer ». Rien de bien agréable quoi.

            Carlier et Lambruscino essayaient donc de réfléchir à un plan d’évasion et, lorsqu’ils étaient fatigués de réfléchir, débattaient sur leur fratrie. Mais inéluctablement, malgré toutes leurs tentatives, des images de meurtre et de batailles dans les rues s’imposaient dans leurs esprits. Ils entendaient toujours régulièrement des tirs de mitraillette dans la montagne et imaginaient la résistance des braves policiers contre les innombrables mercenaires de Marcovi.

            Il n’avait fallu qu’une journée à Marcovi pour mettre sur pied son armée, car les mercenaires étaient déjà sur l’île depuis longtemps, mais refusaient de faire quoi que ce soit sans financement. Ils avaient donc attendu que Marcovi trouve le trésor. Puis Marcovi n’avait eu qu’à tirer sur la sonnette d’alarme et tout s’était mis en place rapidement. Les centres névralgiques de Madère avaient été neutralisés : l’aéroport, la mairie de Funchal et les commissariats. Tout cela s’était fait avec de nombreuses victimes. Lambruscino avait entendu un de ses gardes dire dans un éclat de rire qu’il y avait eu environ 500 morts ce jour-là. Pratiquement tous des civils qui avaient tenté de résister. Carlier et Lambruscino avaient eu un coup au cœur en apprenant cela. Ils ne pouvaient pas s’empêcher de se dire qu’ils auraient pu éviter tant de sang s’ils avaient su renoncer au trésor. Mais Marcovi aurait de toute façon retourné toute l’île pour trouver le trésor des Espagnols. Lambruscino et Rémi n’auraient rien pu faire. Et ils alternaient entre moments d’euphorie (probablement dus à un jeûne de plusieurs jours) et moments de détresse.

            Toutefois, ce jour-là, Lambruscino décida de prendre les choses en main. Il savait que sa vie et celle de son frère ne tenaient qu’à un fil. Et il fallait à tout prix renforcer ce fil. Ce matin-là, il se réveilla donc très tôt et inspecta le sol de la cellule à la recherche de quelque chose pouvant l’aider. Le sol était gris et poussiéreux et désespérément vide. Lambruscino réfléchit à sa longue expérience de hors-la-loi et se demanda ce qu’il pouvait faire avec rien. A part rien bien sûr.

            Il fallait donc miser sur la crédulité des gardiens. Ou bien… Non c’était trop facile. Mais pourquoi pas ?... Lambruscino se dirigea vers Carlier et le secoua. Carlier se réveilla en sursaut, mais Lambruscino lui fit signe de se taire. Puis Lambruscino fit signe à Carlier d’observer les gardiens à travers les barreaux de la porte. Pendant ce temps-là, Lambruscino, qui avait vu qu’il y avait un mercenaire devant la fenêtre, prit un caillou et le lança sur celui-ci avec une force incroyable. Le mercenaire poussa un grand cri et se retourna. Lambruscino se cacha rapidement. Pendant ce temps, les gardes, attirés par le cri, sortirent de la prison et se dirigèrent vers le soldat furieux. Lambruscino profita de la confusion pour soulever le banc de la cellule et l’appliquer sur la porte comme un levier. C’était une très vieille prison et la porte se souleva sans problème. Les deux hommes se précipitèrent hors de la cellule alors que les gardes étaient toujours occupés à l’extérieur. Ils sortirent de la prison en courant dans les rues de Funchal. Ils entendirent derrière eux les cris des gardes qui venaient de s’apercevoir de la supercherie et les balles commencèrent à siffler à leurs oreilles. Les deux hommes accélérèrent en prenant les plus de virages possible, pour ne pas laisser de ligne de tir correcte à leurs poursuivants. Mais les gardes, en bons mercenaires bien entrainés, étaient bien plus résistants qu’eux, et alors que Lambruscino et Carlier s’épuisaient, les gardes gagnaient du terrain. Il ne leur restait plus beaucoup de temps avant d’être rattrapés. Le temps était ensoleillé, et la chaleur épuisait Lambruscino et Carlier. Le découragement recommençait à les gagner, renforcé par la présence de cadavres qui jonchaient les rues de Funchal. La révolution avait été un réel massacre et toute la ville portait encore les cicatrices des affrontements qui y avaient eu lieu.

Les deux hommes tournèrent dans une petite ruelle pavée, bordée de grandes maisons… qui s’avéra être une impasse. Trop tard pour faire marche arrière. Les deux hommes se retournèrent et virent avec terreur les gardes débouler dans la ruelle, mitraillette en main. Ils ne pouvaient plus rien faire. Les gardes se rapprochaient lentement, en levant leurs armes. Dans quelques instants, ce serait fini.

            Des détonations retentirent et Lambruscino et Carlier virent les gardes s’effondrer. Les deux hommes ne comprirent tout d’abord pas comment ce miracle avait pu arriver, puis ils regardèrent autour d’eux et virent des hommes et femmes armés à la fenêtre d’une des maisons. Puis une jeune femme brune d’une trentaine d’années sortit de la maison et cria quelques ordres en portugais. Une dizaine d’hommes sortirent de la maison et commencèrent à dépouiller les cadavres des mercenaires de leurs armes et leurs munitions, puis emportèrent les cadavres dans la maison. La jeune femme fit signe à Carlier et Lambruscino de la suivre dans la maison. Les deux hommes s’exécutèrent, ne sachant pas encore à qui ils devaient leur bonheur, mais étant déterminés à le découvrir. Ils entrèrent donc dans la grande maison. Elle appartenait vraisemblablement à une riche famille. Le sol était en marbre gris, les tapisseries étaient du meilleur goût et les pièces étaient extrêmement grandes. La jeune femme les mena dans ce qui avait dû être un salon, mais qui avait visiblement été transformé en poste de commandement. Elle se tourna vers Carlier et Lambruscino et parla dans un français impeccable :

            « Vous êtes le policier et le hors-la-loi Français, c’est ça ? »

            Les deux hommes furent interloqués. Ainsi ils étaient si connus que cela ! La jeune femme vit leur air interloqué et décida de leur fournir certaines explications.

            « Je m’appelle Veronica Siretti. Je suis chef d’un groupe de rebelles basé ici, dont nous essayons de cacher toute trace, comme vous l’avez vu avec l’évacuation des corps des deux hommes. Nous avons entendu parler de vous dans l’article d’un de vos compatriotes, Mathieu Gentil, juste avant le coup d’Etat. Nous avons immédiatement fait le lien quand Marcovi a pris le pouvoir et nous avons envisagé de vous faire évader parce que vous êtes de toute évidence des ennemis du nouveau régime ayant des alliés à l’étranger. Et c’est très précieux. Mais j’ai d’abord une question : quelle a été votre rôle dans toute cette histoire de Marcovi et tout ? »

            Lambruscino raconta toute l’histoire en détail à Veronica. Celle-ci écouta attentivement, et Carlier profita de cette explication pour observer la jeune femme. Elle était vraiment superbe. Ses longs cheveux bruns tombaient harmonieusement sur ses épaules. Son treillis mal ajusté laissait deviner une taille fine et de longues jambes. Son visage était angélique, mais ses yeux étaient très durs. La révolution avait visiblement amené cette jeune femme à devenir intraitable. Mais elle gardait malgré tout une certaine humanité et une grâce touchantes. Et elle avait un charisme incroyable, ce qui expliquait très bien que ces rebelles l’aient choisie comme leader. Quand Lambruscino eut fini de raconter leurs aventures, elle resta silencieuse un moment, puis prit la parole.

            « Eh bien messieurs, voilà ce qu’on peut appeler de la franchise ! Vous n’avez pas peut d’avouer votre responsabilité –partielle, entendons-nous bien- dans cette affaire. En effet, si vous n’aviez pas recherché le trésor en premier lieu, monsieur Lambruscino, nous n’en serions pas là. Visiblement, c’est ce monsieur Bourieu qui en a parlé à Marcovi après avoir lu vos exploits dans la presse.

            -Je sais. Mais on ne peut  pas revenir en arrière, n’est-ce pas ?

            -Très juste, dit Veronica.

            -Et au fait, intervint Carlier, quelle est votre histoire à vous ? Comment se fait-il qu’une belle jeune fille bien éduquée et riche comme vous se retrouve à la tête d’un mouvement de rébellion ?

            -Eh bien voyez-vous, je suis née ici. Mais j’ai fait mes études à Lisbonne, où j’ai appris votre langue d’ailleurs lors de mes études en littérature internationale. Puis je suis revenue travailler à l’aéroport ici comme traductrice  à 25 ans. J’ai toujours été très attachée à cette île, je ne me voyais pas la quitter, je devais revenir travailler ici. Mon père était un homme riche et habitait cette maison depuis des dizaines d’années. Mais au moment du coup d’Etat, Marcovi a lancé un ultimatum aux hommes les plus influents de Madère : soit ils adhéraient à sa cause et lui donnaient des fonds, soit ils mourraient. Mon père a refusé de façon virulente et Marcovi l’a tué. J’ai pu m’enfuir de justesse, puis j’ai formé un petit groupe de personnes comme moi et nous sommes revenus ici car nous savons que c’est le dernier endroit où Marcovi nous cherchera. Depuis, ces hommes m’ont accordé leur confiance et nous organisons de petits actes de guerilla pour déstabiliser le gouvernement et recruter des hommes. Avant de tenter une action finale pour renverser Marcovi. »

            Lambruscino et Carlier restèrent silencieux. La révolution de Madère avait dû briser bien des familles comme celle-ci.

            « Que pouvons-nous faire pour vous ? » demanda Lambruscino.