Sous le soleil de Madère

Chapitre 6
La tanière de Lambruscino (31 juillet 2009, 18h à Madère)


Rémi Carlier et Marc Lambruscino arrivèrent dans la banlieue haute de Funchal trois heures plus tard. Lambruscino amena Carlier dans une maison discrète et sombre qui lui servait de repère. Lambruscino sortit une clé rouillée et grise de sa poche et ouvrit la porte. Celle-ci leur céda le passage avec un grincement sinistre. Carlier et Lambruscino entrèrent. L’intérieur était sombre et poussiéreux. Il n’y avait qu’une seule pièce au rez-de-chaussée, et le seul mobilier de cette pièce était une table et trois chaises. Lambruscino se dirigea vers cette table et y déposa une lampe à pétrole qu’il avait prise par terre. Carlier remarqua qu’il y avait un vieux livre corné posé sur la table. Il s’en approcha et Lambruscino lui fit signe de s’asseoir. Carlier s’exécuta et posa la statuette sur la table. Lambruscino s’assit à son tour et prit la statuette pour l’examiner à la lumière de la lampe. Puis il la reposa et se tourna vers Carlier.

            « Savez-vous ce que sont ces inscriptions ? demanda Lambruscino à Carlier.

            -Je dois vous avouer que je n’en ai aucune idée. Cela ne ressemble pas à de l’Espagnol en tout cas, je peux vous l’assurer. Ni à aucune langue européenne.

            -Et savez-vous d’où vient cette statuette ?

            -Du trésor du roi d’Espagne, j’imagine.

            -Exact. Alors pouvez-vous m’expliquer pourquoi les écritures sur cette statuette ne sont pas en Espagnol ? »

            Carlier resta silencieux un moment. Il savait que Lambruscino l’observait et attendait de lui une réaction. Mais il se sentait obligé de surprendre ce criminel, de lui montrer que la justice était le bon côté. Il lui fallait donc trouver une réponse correcte. Mais il eut beau réfléchir dans tous les sens imaginables, aucune ne semblait se présenter à son esprit.

            « Je ne sais pas Lambruscino. Et je n’aime pas les devinettes.

            -Bien, je vais éclairer votre lanterne alors. Les pirates, après avoir caché le trésor à Madère, ont eu peur d’oublier l’emplacement exact du trésor, donc ils se sont laissé des indices. Mais, comme vous avez vu, le premier indice était détenu par leur chef et, en cas de vol, était trop évident à déchiffrer. Il leur fallait donc trouver un moyen de faire en sorte que le trésor soit trouvé par des pirates seulement. Ils ont donc utilisé leur jargon.

            -Vous voulez dire une sorte de dialecte.

            -C’est exactement cela. Un dialecte connu par leur confrérie de pirates seulement. Un dialecte pour lequel il n’existait qu’un seul dictionnaire manuscrit.

            -Et c’est celui qui est sur la table ici.

            -Parfaitement. Comme vous devez vous en douter, je l’ai volé, car un truc comme ça, ça coûte une vraie blinde. Il appartenait à un riche Italien de Milan. J’ai donc pénétré dans sa demeure il y a deux ans, car je me doutais que j’en viendrais à me retrouver face à ce dialecte.

            -Alors Castro avait plus que raison de vouloir vous garder en vie jusqu’à ce que le trésor soit découvert.

            -Et encore, il ne se doute pas de ce qui l’attend une fois qu’il continuera seul.

            -Vous ne croyez pas qu’il va abandonner ?

            -Non. Et je crois même savoir qui est son employeur. Et il ne le laissera pas abandonner. Ou alors il le fera tuer. En tout cas, il ne le tuera pas avant que Castro ait lancé toute la police de Madère à mes trousses. Et aux vôtres. Car il vous veut mort aussi. Nous sommes liés, Carlier. »

            Lambruscino se leva et se dirigea vers des escaliers au fond de la pièce. Carlier l’interpella avant qu’il n’y arrive.

            « Et me direz-vous pour qui Castro travaille ? demanda Carlier.

            -Pas encore. Assez d’histoires pour aujourd’hui, et en plus, ce ne sont que des spéculations de ma part donc je vous le dirai plus tard. Je vais dormir un peu. Vous devriez faire de même. Il y a deux matelas en haut.

            -Je ne dormirai pas. Je ne veux pas que vous échappiez pendant que je dors.

            -Soyez logique Carlier. Si j’avais voulu vous fausser compagnie, je vous aurais assommé au même titre que Castro. Nous sommes liés, comme je vous l’ai dit. Nous sommes poursuivis pas des êtres sans scrupules, et croyez-moi, mieux vaut être deux dans ces cas-là. »

            Et il se mit à gravir les escaliers. Carlier resta pensif pendant un moment, puis monta à son tour. Il se jeta sur un matelas et s’endormit.

            Castro arriva tard à sa villa. Il était épuisé. Il avait marché toute la journée et sa tête l’élançait de plus en plus. Il ouvrit la grande grille de son habitation et vit la Mercédès noire de son employeur. Un frisson parcourut son échine. Une envie furieuse de s’enfuir s’empara de lui. Mais il parvint à se contrôler et se dirigea vers le véhicule avec autant d’assurance qu’il pouvait montrer. L’homme en complet gris sortit de la voiture et vint à la rencontre de Castro. Il ne laissait transparaître aucune émotion, mais Castro sentait un sentiment de violence intense émaner de cet homme. Il ne se laissa pas décontenancer et tendit sa main à l’homme. Celui-ci l’ignora somptueusement.

            « Que s’est-il passé ? » demanda-t-il brusquement.

            Castro lui raconta tous les événements qui avaient eu lieu dans la montagne. Le sentiment d’inquiétude qu’il avait ressenti en voyant la voiture augmentait de seconde en seconde. Une fois qu’il eut fini son récit, l’homme prit la parole.

            « Ce n’est pas très grave, dit-il. Mais il faut réagir vite, sinon cela le deviendra. Alors Castro, je veux que vous veniez avec moi à l’intérieur, que vous décrochiez votre téléphone, et que vous appeliez vos collègues.

            -Suivez-moi, c’est à l’intérieur. »

            Castro emmena l’homme en complet gris jusqu’à son salon et décrocha le téléphone. Castro entendit la tonalité.

            « Ca sonne, dit-il à l’homme en complet gris.

            -Bien. Alors dites-leur que Lambruscino s’est enfui, que Carlier est son complice, et qu’ils sont coupables du meurtre de trois hommes. »

            Castro s’exécuta et, après une courte discussion, raccrocha.

            « Mais, dit-il, je ne comprends pas, seuls deux de mes hommes sont morts dans cette grotte.

            -Oui, mais Carlier et Lambruscino vous ont tué aussi. »

            L’homme leva son révolver et fit feu sur Castro.

***

            L’homme en complet gris s’appelait Pierre Bourieu. Il était membre de la ligue indépendantiste de Madère où il travaillait pour Rui Marcovi, le vieil homme à qui il rendait des comptes. Pierre Bourieu était un mercenaire Français qui avait rencontré Marcovi quelques années auparavant et celui-ci l’avait engagé.

Bourieu était un excellent homme de main et exécuteur. C’est lui qui avait entendu parler du trésor du roi d’Espagne lors d’un reportage sur Lambruscino et qui avait engagé Castro pour qu’il arrête ce criminel lorsqu’il serait à Madère. Le trésor était une magnifique opportunité pour offrir à Madère son indépendance et pour donner à Marcovi un poste de président. Mais il fallait d’abord retrouver Lambruscino. Avec toute la police de Madère à ses trousses, il ne ferait pas long feu et il suffirait de le faire évader après et descendre après. Mais Bourieu préférait toujours prendre plusieurs précautions.

En sortant de la villa de feu Felipe Castro, il prit son téléphone et appela John Walsh, le fameux tueur Américain. Celui-ci opérait habituellement à New York mais ne rechignait pas à se déplacer si la paye était particulièrement bonne. Bourieu tomba directement sur lui et lui fit une superbe offre. Walsh ne se fit pas prier et décida de sauter dans le premier avion pour Madère. Bourieu raccrocha, satisfait. Lambruscino et Carlier n’avaient aucune chance d’arriver au trésor sans être rattrapés.

            Rémi Carlier s’éveilla à 7h le lendemain matin. Ses jambes étaient douloureuses. Sa course effrénée dans la grotte la veille et les marches des deux jours précédents l’avaient épuisé. Et en plus, il éprouvait un sentiment d’insécurité désagréable. Il devait se fier à un homme qu’il était venu arrêter, il devait faire confiance à un criminel, lui qui avait passé sa vie à combattre le crime. Carlier se tourna vers le matelas où avait dormi Lambruscino. Celui-ci ronflait encore. Carlier descendit donc les escaliers et s’installa à la petite table dans la pièce du bas. Il prit la statuette dans se mains et l’examina sous tous les angles. C’était déjà une pièce d’une grande valeur, qui laissait présager de la beauté et de la prolixité du trésor à venir. Il entendit tousser derrière lui et vit Lambruscino qui était arrivé.

            « Déjà au travail ? dit Lambruscino.

            -Non, j’examinais juste la statuette. Elle est magnifique.

            -En effet. Un peu trop même, vous ne trouvez pas ?

            -Oui, un appât excellent. Cela devait inciter les gens à la prendre et à provoquer l’effondrement de la caverne.

            -Vous aviez donc deviné cela ! Bien, très bien !

-Eh bien pour tout vous dire, avoir une grotte qui s’effondre sur moi une fois dans ma vie, cela me suffit, je prends donc le maximum de précautions possible. »

            Lambruscino prit une chaise et s’assit.

            « Il s’agit maintenant de déchiffrer les inscriptions sur cette statuette, dit Lambruscino.

            -Allons-y alors. »

            Ils se mirent donc au travail. Lambruscino tenait la statuette dans ses mains et indiquait à Carlier les pages où trouver la traduction. Il avait visiblement déjà bien étudié le livre avant de se lancer dans cette chasse au trésor. Carlier fut impressionné par la patience dont cet homme avait fait preuve. Il avait attendu presque 10 ans pour accomplir son rêve, il avait tout mis au point avec minutie, mais il s’était fait arrêter dans la dernière ligne droite. Carlier eut un élan de pitié pour cet homme qui faisait partie du peu d’êtres humains à poursuivre un idéal, et qui s’était fait stopper si près du but.

            Mais Carlier se reprit. Après tout, Lambruscino était un criminel, il l’aurait laissé mourir sans remords. Il avait même refusé de lui parler quand Castro avait menacé de tuer Carlier.

            Au bout de trois heures de travail acharné, les deux hommes avaient fini de décrypter le message gravé sur la statuette. Lambruscino se balança sur sa chaise.

            « Alors, dit-il, quel est le message complet ?

            -Eh bien c’est assez obscur, dit Carlier.

            -A deux cerveaux du 21ième siècle, nous devrions être à même de déchiffrer ce que des pirates analphabètes ont écrit.

            -Je vous trouve quand même un peu dur, ces mecs ont quand même conçu un super système pour protéger leur trésor, dit Carlier en prenant une inspiration, alors cela dit :

            « Ô mon ami, lors de ta longue quête, t’es-tu déjà demandé ce que le Seigneur pensait lorsqu’il marchait dans le désert ? N’aurait-il pas aimé trouver une roche dure où s’abriter du Soleil ? Serait-il alors allé au fond de cette grotte et y aurait-il trouvé de la vie ? Toi seul pourras savoir cela un jour. »

            -Etonnant, dit Lambruscino, des pirates chrétiens.

            -Ils étaient Espagnols. Le pays de l’Inquisition quand même. Un pays traditionnellement très croyant.

            -Oui, c’est vrai, répondit distraitement Lambruscino. Alors, réfléchissons à ce que cela veut dire.

            -C’est vous l’expert, monsieur Lambruscino.

            -Appelez-moi Marc. »

            Lambruscino se leva et commença à tourner autour de la table. Il marmonnait un raisonnement que Carlier avait du mal à suivre, mais il cherchait tout de même à s’accrocher.

            « Alors, disait Lambruscino, le Seigneur marchait dans le désert. A quoi pensait-il ? Est-ce important de savoir ce à quoi il pensait ? Non, sûrement pas. C’était une question piège. Mais il doit tout de  même y avoir un élément important. La marche n’est sûrement pas l’élément important. C’est le désert alors. Mais quel désert ?

            -Il n’y a pas de désert à Madère, dit Rémi.

            -C’est exact, répondit Lambruscino, mais il y a tout de même ce que les locaux appellent le ‘désert de Madère’. C’est la Ponta do Rosto. C’est l’endroit le plus aride de l’île. Les pirates avaient dû le remarquer, d’où cette référence au désert.

            -Parfait, donc nous savons où c’est !

            -Non, pas encore. La pointe est très grande. Il y a d’autres indices dans le texte.

            -Du genre ?

            -Une roche dure et une grotte. Nous allons devoir aller sur place et trouver une grotte abritée par une roche. Et dans laquelle des animaux logent ou auraient pu loger.

            -Les animaux seraient toujours là plusieurs siècles après ?

            -Ce n’est pas absurde.  L’espèce qui vivait là à l’époque existe sûrement toujours, et si le lieu était habitable pour eux à l’époque, il est probable qu’il le soit toujours maintenant. Il y a toutefois encore un détail étrange.

            -Lequel ?

            -La dernière phrase. Elle stipule que l’on doit y aller seul. J’irai donc sans vous, monsieur Carlier.

            -Hors de question, Lambruscino. C’est totalement exclu, je ne vous quitterai pas des yeux. Je sais très bien qu’une fois le trésor en main, vous disparaîtrez, et cela ne me convient pas.

            -Il faudra bien que cela vous convienne, car en admettant que je trouve le trésor, je serai toujours recherché, au même titre que vous.

            -Certes, mais qui me dit que vous n’achèterez pas votre liberté en donnant la moitié du trésor à Felipe Castro ? Etouffant ainsi toute l’affaire. »

            Lambruscino se figea sur place, réfléchit un moment, puis se pencha vers Carlier.

            « Ecoutez-moi bien, monsieur Carlier, je ne vous permets pas de faire de telles insinuations. C’est dégradant pour un homme comme moi. J’ai beau avoir volé, je n’ai jamais trahi personne, ni blessé personne, et ce n’est pas maintenant que je vais commencer. Et vous comprendrez un jour pourquoi.

            -Comment ? Je…

            -Ne dites plus rien. Vous avez gagné. Vous venez avec moi demain mais les risques sont énormes, il faut que vous le sachiez. »

            Sur ces paroles, il tourna les talons et monta à l’étage. Carlier contempla la statue, souriante et dorée sur la table.