Chapitre 13
Comité de Révolte (7 août 2009, 8h à Madère)
Rémi Carlier se réveilla en sursaut ce matin-là. Il regarda sa montre, il était 8h. Il fut étonné de voir qu’il n’était plus en prison, puis les événements de la veille lui revinrent en mémoire. Il se dressa sur le matelas qui lui servait de lit et regarda autour de lui. Il avait dormi cette nuit-là dans une des multiples chambres de la grande maison, sur un matelas posé au sol. Visiblement Lambruscino était déjà debout car son matelas était vide. Carlier se leva et alla se regarder dans un miroir. Son visage était maigre, mal rasé, et marqué de multiples contusions dues à sa capture mouvementée dans la montagne. Ses cheveux étaient graisseux et non coiffés. Il avait l’air d’un vrai révolutionnaire… ou d’un vrai bouseux ! Mais il avait tout de même observé la veille que tous les soldats étaient propres et bien rasés. Il devait donc y avoir une salle de bain viable dans la maison. Carlier la chercha donc à l’étage où il avait dormi et finit par la trouver. Sentir l’eau fraiche couler sur lui des jour-là fut une des plus agréables sensations qu’il avait jamais connues. Il se coiffa ensuite soigneusement et se contempla une fois de plus dans le miroir. Il avait un air plus humain, même s’il avait déjà eu l’air en meilleure forme dans sa vie. Il descendit ensuite au rez-de-chaussée où devait se trouver Lambruscino.
Il trouva en effet son frère (il ne pouvait toujours pas se faire à l’idée, mais ce n’était vraiment pas sa priorité) attablé avec Veronica, rayonnante dès le matin. Ils ne parlaient pas, mais mangeaient en silence. Carlier les rejoint.
« Bonjour les gens, dit-il.
-‘Lut, dit Lambruscino.
-Bonjour Rémi, dit Veronica, voulez-vous du café ?
-Avec plaisir. »
Veronica s’empressa de le servir. Carlier se sentait retombé en enfance, lorsque sa mère lui faisait le petit déjeuner. Il n’avait plus conscience du danger à l’extérieur et ne voyait plus que cette superbe femme qui lui servait le café. S’il l’avait connue dans d’autres circonstances, lui aurait-elle semblé aussi belle ? Il n’en savait rien. Il était juste bien. Il savait que ce n’était qu’un répit avant la tempête, qu’il devait empêcher ce gouvernement de rester au pouvoir, mais il profita pleinement de ce moment. Un repas avec son frère et une superbe femme lorsqu’on a été mal nourri et en prison pendant plusieurs jours, il ne pouvait rêver mieux. Il sentait que cette aventure commençait à lui donner de la perspective sur sa vie, et il appréciait cela.
Malheureusement, ce délicieux moment fut interrompu par l’arrivée d’un soldat. Il se pencha vers Veronica et lui murmura quelque chose à l’oreille. Celle-ci hocha la tête et se leva.
« Suivez-moi, messieurs, » dit-elle.
Carlier et Lambruscino s’exécutèrent et elle les emmena dans le grand salon où tous ses hommes étaient réunis autour d’une grande table. Veronica s’assit en bout de table et fit signe à Carlier et Lambruscino de s’asseoir à ses côtés. Ceux-ci s’exécutèrent.
L’assemblée était très solennelle. Carlier et Lambruscino sentaient dans l’air une gravité et une tension qu’ils n’avaient jamais ressenti avant. Veronica prit la parole :
« Messieurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour savoir si nous acceptons ces messieurs Français dans notre mouvement. Sachant que la seule autre option est de les emmener avec les autres touristes que nous avons récupérés et de les cacher dans un endroit sûr en attendant de les évacuer.
-Pourquoi ne faisons-nous pas cela ? demanda un des hommes de Veronica.
-Parce que ces hommes peuvent être des alliés de poids. Monsieur Carlier est un policier renommé en France, il a suivi un entrainement aux armes et connaît personnellement nos ennemis ici. Et les talents de monsieur Lambruscino ont été largement exposés dans la presse, donc ne sont plus à démontrer.
-Justement, intervint un autre homme, c’est un criminel, il risque de nous trahir à la première occasion.
-Je ne crois pas, dit Veronica très calmement. Monsieur Lambruscino n’a sombré dans la criminalité que pour récupérer le trésor, ce qui lui donnait une quête et un sens à sa vie. Je pense qu’avec cette révolution, monsieur Lambruscino trouvera vraiment un sens à sa vie. »
Lambruscino se leva soudainement et dévisagea chaque membre de l’assistance. Puis il parla d’une voix calme et posée.
« Messieurs, j’ai fait des erreurs dans ma vie et je m’en repends. Mais s’il y a une chose que je ne supporte pas, c’est la mort de personnes innocentes. Or ce que j’ai vu depuis ma cellule en prison ici me révulse au plus haut point. Le régime qui sévit ici est inhumain, et je le combattrai. Avec ou sans votre aide. Mais je ne vous cache pas que j’aurai plus de mal sans votre aide. »
Sur ces mots, il se rassit. L’assemblée resta silencieuse un moment, puis le silence fut rompu par Veronica.
« Bien nous avons entendu le point de vue de monsieur Lambruscino, maintenant qu’en pensez-vous messieurs ?
-Nous n’avons pas entendu monsieur Carlier, dit un autre homme.
-Très juste, dit Veronica, avez-vous quelque chose à dire, Rémi ? »
Carlier leva les yeux vers l’assemblée et réfléchit longuement avant de parler.
« Messieurs et mademoiselle, dit-il, j’étais venu sur cette île pour rapatrier cet homme, Lambruscino, que je croyais être un dangereux criminel. Or je me suis aperçu que cet homme était non seulement mon frère, mais en plus qu’il s’était tout simplement égaré dans la recherche d’un trésor, quête dont le but m’a également obsédé pendant un moment. C’est justement à cause de cette quête dont je n’ai pas empêché la continuation que nous sommes dans cette situation actuelle. Alors oui, je considère que j’ai ma part de responsabilité dans les événements d’aujourd’hui à Madère. J’ai maintenant la possibilité de rectifier le tir si vous m’acceptez dans votre mouvement. J’ai suivi la formation du GIGN Français, et je peux vous dire que je serai à la hauteur. Je peux vous aider comme soldat, comme tacticien et comme logisticien. Si vous voulez de moi. »
En disant ces mots, ses yeux se dirigèrent plus ou moins involontairement vers Veronica. Celle-ci l’écoutait avec attention et bienveillance. Lorsqu’il eut fini, elle prit la parole à son tour.
« Bien messieurs, vous avez entendu Lambruscino et Carlier. Dites-moi vos avis, posez des questions à ces messieurs et ensuite nous procèderons au vote. »
L’assemblée, qui avait été très calme jusque-là, se mit à bourdonner d’un concert de murmures. Finalement, un des hommes se leva et prit la parole.
« Ce n’est pas que nous ne faisons pas confiance aux capacités de ces hommes, mais une question est venue à l’esprit de mes camarades et moi : s’ils se font capturer, sauront-ils se taire ? »
Lambruscino et Carlier s’attendaient à cette question. Ils échangèrent un regard éloquent. Ils ne savaient pas donner de réponse claire à cette question. Ils ne s’étaient jamais retrouvés dans une telle situation et n’auraient jamais pensé s’y trouver un jour avant d’arriver sur cette île. Finalement, Carlier prit la parole.
« Je n’ai qu’une chose à dire pour répondre à cette question : lorsque nous étions en prison, Marcovi nous a offert une place dans son gouvernement. Et nous avons refusé, au risque d’être torturés ou tués par la suite. Ce n’est peut-être pas une preuve suffisante, mais nous aurions préféré mourir que de servir sous lui. Nous ne pourrions jamais collaborer avec de telles crapules. Ce n’est juste pas dans notre caractère.
-Bien, dit l’un des hommes, alors si nous vous donnons une pilule de cyanure, vous vous engagez à l’avaler si vous êtes capturé et que vous vous sentez craquer.
-Oui monsieur, fit Carlier. Je m’y engage sur mon honneur.
-Oui, » dit Lambruscino.
L’assemblée resta silencieuse. Tous les regards étaient fixés sur Carlier et Lambruscino. Les deux hommes se sentaient jaugés, évalués. Personne ne disait rien. Le silence se faisait de plus en plus pesant. Veronica se leva.
« Messieurs Lambruscino et Carlier, dit-elle, je vais vous inviter à sortir, nous allons procéder au vote. »
Ils s’exécutèrent en silence et Veronica ferma la porte derrière eux. Ils restèrent dans le couloir pendant deux heures complètes, n’osant pas frapper à la porte de la salle de réunion pour ne pas déranger. Les deux hommes commençaient à tenir à faire partie de ce mouvement. Ils allaient pouvoir prendre leur revanche sur Marcovi et empêcher la mort d’innocents supplémentaires. Cela leur tenait à cœur plus que jamais. De plus, la beauté mystérieuse de Veronica avait un effet non négligeable sur la résolution de Carlier.
Les deux hommes ne se parlèrent pas pendant ces deux heures. Ils ne se regardèrent même pas, sachant très bien que chacun lirait dans les yeux de l’autre l’appréhension qui l’habitait. Finalement, ils entendirent pivoter la poignée et Veronica apparut dans l’encadrement. Elle leur fit signe de rentrer.
La pièce était très calme. Si l’amas de mégots dans le cendrier n’avait pas augmenté depuis qu’ils étaient sortis, Carlier et Lambruscino auraient juré qu’il ne s’était rien passé pendant qu’ils étaient dehors. Veronica invita les deux hommes à s’asseoir puis elle prit la parole.
« Messieurs, le comité de Révolte a pris sa décision. Nous ne vous connaissons pas beaucoup, mais nous avons tout de même essayé de jauger si vous aviez la carrure pour entrer dans notre mouvement. Eh bien je dois vous dire que le vote a été unanime. Mes hommes ont été convaincus par vos réponses aussi sincères que courageuses, c’est pourquoi nous vous acceptons dans notre mouvement. Bienvenue mes amis. »
Carlier et Lambruscino n’en croyaient pas leurs oreilles. Ca y était, ils allaient pouvoir agir enfin ! Ils allaient pouvoir aider à la résolution de cette crise qui n’avait duré que trop longtemps.
« Eh bien maintenant que vous faites partie de notre comité, dit Veronica, nous allons vous parler un peu de nous. Je ne sais pas si vous avez compté, mais nous sommes 35 hommes et femmes, tous dévoués à la cause et prêts à mourir pour elle. Nous avons déjà perdu 20 hommes dans notre combat, mais en contrepartie, nous avons sauvé 59 otages, que nous gardons à l’abri dans les montagnes, dans un endroit qui n’est connu que de trois personnes dans cette pièce, moi incluse. Nous pensons que la sauvegarde des civils est fondamentale, car nous ne voulons pas de dommages collatéraux. Le régime de Marcovi a déjà fait assez de victimes comme cela. Inutile d’en rajouter. De plus, si nous arrivons à évacuer tous les civils, l’armée pourra bombarder l’île. Il y a donc un véritable enjeu stratégique. Cette dictature n’a duré que trop longtemps, et nous allons avoir besoin de vous pour une mission très très spéciale. Une mission qui ne peut être effectuée que par vous. Et c’est spécifiquement parce que nous vous savons capables d’accomplir cette mission que nous vous avons pris parmi nous.
-Dites nous tout, » dit Lambruscino.
Veronica se leva et regarda les deux hommes très intensément. Elle semblait les jauger et se demander une dernière fois si elle faisait bien de leur accorder sa confiance. Finalement, elle leva les yeux au ciel, poussa un long soupir et prit la parole.
« Tuer Marcovi ne rimerait à rien. Il y aurait toujours quelqu’un dans son entourage pour prendre le pouvoir et continuer à employer les mercenaires. Il faut attaquer Marcovi là où ça fait mal.
-Le trésor, murmura Lambruscino.
-Exact, dit Veronica. Il faut qu’on s’empare du trésor, et on pourra couper les vivres aux mercenaires qui se révolteront contre Marcovi.
-Mais il y a une lacune dans votre plan, dit Carlier, parce que même si nous nous emparons de l’argent, ces mercenaires sont maintenant coupables de crimes contre l’humanité. Et il est dans leur intérêt de rester maîtres de cette île.
-Très juste. Il faut donc les piéger. Il faut faire passer notre mouvement pour une dictature alternative, qui sera gérée par monsieur Lambruscino, le temps d’attendre l’aide du Portugal.
-Mais je ne vous suis pas, intervint Lambruscino, en quoi aviez-vous besoin de nous spécifiquement ?
-Eh bien Marcovi vous avait proposé un poste à chacun dans son administration. Vous allez l’accepter.
-Bien entendu, dit Carlier, on arrive après s’être évadés de prison, et on lui dit que finalement on l’aime bien, ça va super bien marcher ça ! »
Un grognement parcourut l’assistance, qui n’appréciait visiblement pas l’ironie de Carlier. Toutefois Veronica ne broncha pas.
« Nous avons pensé à cela. Pour gagner la confiance de Marcovi, vous allez leur livrer notre cachette. »
Un silence de mort tomba sur la pièce. Visiblement, tous les hommes de Veronica n’étaient pas au courant de ce détail qui pouvait tout de même prendre une importance non négligeable. Celle-ci ne laissa pas à ses hommes le temps de faire des remarques et continua.
« Bien entendu, nous ne serons plus dedans, mais nous laisserons des preuves évidentes que nous y étions pas longtemps avant votre passage.
-Mais vous pensez vraiment que cela suffira à gagner la confiance de Marcovi ? demanda Carlier.
-Bien sûr que non. Vous devrez ensuite leur fournir d’autres informations sur nous, informations que je vous communiquerai moi-même. »
Cela ne plaisait pas du tout à Carlier. Il s’était vu comme un grand combattant de la liberté, pas comme un petit traître minable qui n’aurait rien d’autre à faire que de manipuler un bouseux. Veronica lut dans ses yeux.
« Cette mission est fondamentale, Rémi. Après plusieurs jours de réflexion, c’est la seule solution que nous avons trouvé pour mettre fin à cette crise. Et c’est également la solution la plus rapide.
-J’en suis conscient. Mais ce n’est juste pas ce à quoi je m’attendais.
-Je sais. Mais dites-vous également que chez Marcovi, il y a les seuls moyens de communication pour joindre le Portugal. Je sais que vous avez des alliés à l’international, servez-vous en. »
Carlier resta silencieux. Il est vrai qu’avec une telle mission, de nombreuses choses reposeraient sur ses épaules. En serait-il capable ? Il l’ignorait totalement. Il aurait tout de même Lambruscino pour le seconder, mais pouvait-il se fier à un ancien criminel ? Carlier ne savait plus que penser. Toujours est-il qu’il fallait faire quelque chose. Il se leva et marcha vers la sortie. Une fois dans le couloir, il prit une grande inspiration et leva les yeux au plafond. Il se sentait pris dans un étau. Il ne pouvait plus reculer. Il revint dans la pièce, se rassit à sa place et prit la parole.
« J’accepte, dit-il, mais je ne veux pas que mes révélations vous nuisent d’une quelconque façon, c’est bien clair ?
-Bien évidemment, di Veronica. Nous allons mettre au point avec vous un plan de bataille pour voir comment nous gérons cela.
-Et moi ? intervint Lambruscino, personne ne me demande mon avis ?
-Bien sûr que si, dit Véronica, mi-agacée, mi-amusée.
-Eh bien je suis d’accord, » dit Lambruscino avec un sourire en coin.
Un tonnerre d’applaudissements retentit.