Sous le soleil de Madère

Chapitre 3
Premières difficultés (29 juillet 2009, 12h à Madère)


Carlier n’en revenait pas. C’était trop pour un homme aussi intègre et patriote que lui. Qu’un serviteur de l’état soir prêt à tuer pour un trésor de légende le laissait pantois et le laissait bégayant d’incompréhension.

            « Mais… mais, disait-il, Felipe… vous êtes policier. Vous avez à cœur de faire juger ce voleur.

            -Non, répondit Castro. J’ai à cœur de m’enrichir pour ne pas finir ma vie sur cette île. J’ai à cœur d’avoir la belle vie un jour. Et ne vous inquiétez pas pour ce criminel, une fois que j’aurai trouvé le trésor, je le tuerai.

            -Et moi ? demanda Carlier.

            -Excellente question, dit Castro. Je pense que je vais vous tuer en fait. »

            Il leva son révolver, mais Lambruscino intervint et vint se placer devant lui.

            « Non, vous ne le tuerez pas, dit-il. Nous allons avoir besoin de lui.

            -Comment ça ? firent Castro et Rémi en cœur.

            -Oui, nous avons besoin de monsieur Carlier. En effet, sur le papier que j’ai eu, et que j’ai caché dans un endroit très sûr bien évidemment, il y avait une allusion à une goutte de sang à verser pour ouvrir une porte. Or généralement, dans ce genre de papiers, ils procèdent par euphémismes, donc cela veut dire que nous devrons carrément l’égorger. Et je ne suis pas volontaire. Vous non plus monsieur Castro, j’imagine. Donc monsieur Carlier vient avec nous.

            -Vous pourrez donner votre sang puisque… commença Castro.

            -Oh détrompez-vous, vous aurez besoin de moi jusqu’au bout. J’étudie l’histoire de ce trésor depuis 10 ans. Croyez-vous pouvoir vous passer de moi ? Avez-vous l’expérience nécessaire ? »

            Castro baissa la tête. Une tempête s’agitait sous son crâne. Visiblement, il avait prévu dès le début de tuer Carlier, mais voilà que cet aventurier l’en empêchait. Il lui fallait prendre une décision rapide, et tout seul. Il n’aimait pas cela, car il devrait rendre des comptes sur cette décision. Finalement, il releva la tête.

            « Bien, dit-il. Nous emmenons monsieur Carlier avec nous. Mais à la première incartade, je le tue et je vous le fais porter, monsieur Lambruscino.

            -Je vous en prie, appelez-moi Marc. Maintenant que je suis votre prisonnier, vous n’avez plus besoin de me montrer du respect… »

            Carlier se leva et fit face à Castro.

            « Comment comptez-vous sortir de cette prison ? demanda Carlier. Parce qu’autant que je me rappelle, un fonctionnaire de police français sortant menotté d’une prison madérienne, ça la fout mal, non ?

            -Mais très simplement, dit Castro en éclatant de rire, parce que nous ne sommes pas dans une prison. Ceci est ma résidence privée. Et je l’ai aménagée en prison pour obtenir les informations que je voulais. J’ai bien sûr dit au gouverneur de Madère que je gardais le prisonnier ici parce qu’il y avait des personnes dans mon équipe à qui je ne faisais pas confiance. »

            Le plan était parfait. Il n’y avait aucun moyen de s’en sortir dans l’immédiat. Carlier regarda Lambruscino et vit que celui-ci avait l’air calm : peut-être avait-il une solution d’évasion. En tout cas, il était décidé à sacrifier Carlier et ce dernier était décidé à ne pas le laisser faire, et à fausser compagnie à ses acolytes à la première occasion. Mais le moment n’était pas encore arrivé, il s’agissait d’être patient et il trouverait une solution de sortie. Ou il mourrait… Inutile de préciser qu’il préférait largement la première option.

            Castro s’avança plus avant dans la pièce d’un air menaçant et prit place sur le siège que Carlier avait laissé libre. Un garde armé arriva et se plaça dans l’encadrement de la porte.

            « Et maintenant, dit Castro, vous allez nous dire vers où nous devons nous diriger, monsieur Lambruscino. »

            Lambruscino prit une profonde inspiration et leva les yeux vers Castro.

            « Nous devons nous rendre d’abord au Pico Grande, la montagne la plus large de Madère, dit-il. C’est là que j’ai planqué les coordonnées. A partir de là, nous pourrons nous mettre en quête du trésor.

            -Pico Grande, répéta Castro. Vous auriez pu choisir un endroit moins touristique.

            -Pourquoi croyez-vous que je l’ai choisi ? » demanda Lambruscino avec un sourire.

            Castro lui rendit son sourire, sortit de la pièce en claquant la porte et laissa Carlier et Lambruscino en tête à tête. Carlier prit la parole.

            « Comment comptez-vous vous sortir de ce pétrin, Lambruscino ?

            -Je ne parle pas aux morts. »

            Castro sortit dans la cour de la villa aménagée en prison et poussa un soupir : la première partie du plan s’était déroulée sans anicroche, et il en était ravi.

Un homme en complet gris portant des lunettes noires attendait, assis sur le capot d’une Mercedes Noire d’une propreté étonnante en comparaison de toutes les voitures poussiéreuses se trouvant dans la cour. Il se leva en voyant arriver Castro.

            « Le flic est mort ? demanda l’homme.

            -Non. Lambruscino a dit qu’on pourrait en avoir besoin.

            -Je ne suis pas sûr d’approuver. Ce flic de merde pourrait nous causer des ennuis.

            -Ne vous inquiétez pas, c’était une décision réfléchie et il m’appartenait de la prendre.

            -Oh je ne m’inquiète pas. Si notre opération échoue, soyez sûr qu’il n’existera aucun endroit sur cette Terre où vous pourrez vous cacher de moi. Les enjeux sont trop importants et vous êtes payé bien trop grassement pour vous permettre de tout foutre en l’air. C’est bien clair ?

            -Limpide. Mais rappelez-vous que c’est moi qui vous ai apporté les révélations de Lambruscino. Et c’est moi qui l’ai amené ici sous prétexte de son interrogation par le flic Français. L’intégralité de votre plan reposait donc sur moi seulement.

            -Vous avez été payé pour cela, vous ne voudriez pas que l’on vous chante la Marseillaise aussi non plus. 

-Non, surtout que je suis Portugais. »

            L’homme en complet gris dévisagea Castro avec dégoût, ouvrit la portière et monta dans la Mercedes. Il mit le moteur en marche et conduisit la voiture lentement jusqu’à la grille. Celle-ci s’ouvrit et Castro regarda la voiture disparaître le long de la route sinueuse. Il retourna ensuite à l’intérieur du bâtiment et se dirigea vers la salle où se trouvaient les moniteurs des cameras de surveillance de toute la propriété.

            « Pas de signe d’un mensonge de Lambruscino ? demanda Castro au technicien.

            -Non monsieur. Il a envoyé balader l’autre Français en lui signifiant qu’il était déjà mort. Je pense que lui espère s’en sortir alors que l’autre se fera trucider, mais c’est humain. Le plus fort doit survivre.

            -Oui, ou bien aucun des deux, c’est bien aussi. Enfin bon tant qu’il ne cherche pas à se faire aider de l’autre, c’est gérable. »

***

            Une heure plus tard, deux gardes vinrent chercher Carlier et Lambruscino pour les emmener dans leurs cellules respectives. Celle de Carlier était une petite chambre aux murs gris, avec une petite ampoule au plafond comme seul éclairage. La porte était blindée et n’avait aucun barreau, et il n’y avait aucune autre ouverture dans la pièce ce qui empêchait Carlier de songer à agrandir une quelconque ouverture avec des outils qu’il n’avait pas.

Un matelas était posé sur le sol, avec une couverture légère dessus. Carlier s’y allongea et réfléchit à la tournure que les événements avaient pris, puis il décida qu’il était fatigué et que le meilleur moyen d’affronter le lendemain était d’emmagasiner le plus de sommeil possible, donc chercha le sommeil. Il s’endormit très rapidement.

            Vers 8h du matin le lendemain, il entendit le bruit de la serrure et vit Castro s’avancer dans l’encadrement de la porte.

            « Nous partons dans une heure, mon cher Rémi.

            -Mais avec plaisir mon cher Felipe. »

            Castro eut un petit rire dédaigneux et referma la porte. Carlier vit qu’il lui avait apporté sa valise. La chambre d’hôtel avait donc été rendue et Castro avait dû dire que Carlier se trouvait avec lui, donc il ne serait pas porté disparu car qui soupçonnerait le commissaire principal de Funchal ? Le plan était bien rôdé.

Carlier fouilla dans sa valise et prit son pantalon de trek, ses chaussures de marche et une chemise légère, puis il s’habilla en réfléchissant à une faille dans le plan qu’il voyait se dessiner. Il n’en trouva aucune, mais à sa décharge, il était fatigué et stressé.

            A 8h précises, Castro vint chercher Carlier. Ils marchèrent jusqu’à un Land Rover dans lequel Lambruscino était déjà assis à côté d’un garde. Carlier monta et un garde lui emboîta le pas. Castro s’assit sur le siège conducteur et mit le contact.

            Ils arrivèrent en bas du Pico Grande une heure plus tard, après avoir traversé les paysages paradisiaques de l’île dont, il faut l’admettre, Carlier se moquait comme de sa première brosse à dents.

            « Bien, dit Castro, nous allons monter cette montagne. Mais sachez une chose, monsieur Carlier : le chemin est étroit donc vous aurez un garde derrière vous et monsieur Lambruscino devant vous et à votre gauche le vide et à votre droite, la montagne, donc aucun moyen de vous échapper. Et si malgré tout cela vous essayez, nous vous descendons, en faisant valoir aux touristes que vous êtes un voleur en fuite, dangereux pour leur sécurité, ce que les touristes gobent en général aisément. Et vos supérieurs n’auront aucun mal à croire que vous avez pété les plombs et essayé de nous tuer car il y aura de nombreux témoignages pour corroborer le mien. Donc nous leur raconterons que nous avons essayé de vous neutraliser, mais qu’il y a eu une légère bavure.

            « Nous avons 600m de dénivelé positif à faire. La première partie du chemin est plate, donc sera très aisée, puis cela va se mettre à monter fort. Nous devrions arriver au sommet dans 3h environ. Maintenant allons-y ! »

            La petite troupe se mit en marche. Castro marchait devant, suivi du premier garde, suivi lui-même de Lambruscino, puis Carlier et enfin le deuxième garde. N’importe quel personne extérieure aurait pu croire à un groupe de touriste où les participants avaient un sacré besoin de se détendre car ils semblaient tous faire la tronche.

La marche fut longue, le soleil était très fort et les pieds de Carlier le faisaient souffrir. Mais il ne disait rien. Il ne voulait pas donner à ces bandits la satisfaction de voir qu’il souffrait.

            Ils arrivèrent finalement en haut du Pico Grande, la montagne la plus large de Madère, à 1600m d’altitude et contemplèrent la vue. Ils étaient perchés sur l’énorme rocher surplombant ce sommet et au-dessous d’eux s’étendait le paysage paradisiaque de Madère. Au loin, ils pouvaient apercevoir un plateau et un champ d’éoliennes. De l’autre côté se dressait le Pico Ruivo, point culminant de Madère à 1800m d’altitude. Le paysage était dégagé et ils pouvaient voir la mer jusqu’à l’horizon où le bleu du ciel et le bleu de la mer s’enchevêtraient.

            Ils n’avaient pas croisé de touristes, ce qui avait évité à Rémi la tentation de fausser compagnie à ses ravisseurs et maintenant, ils étaient tous en haut du gros rocher, exténués et suants. Castro se tourna vers Lambruscino.

            « Maintenant, où avez-vous mis les coordonnées ?

            -Je me repose, vous permettez ? »

            Castro sortit un révolver de sa poche et le pointa vers Carlier en faisant « non » de la tête. Lambruscino le regarda d’un air fatigué, puis poussa un soupir.

            « Elles sont sur un papier que j’ai planqué dans un des câbles grâce auxquels on est montés jusqu’ici. »

            Il parlait des câbles servant à aider les touristes épuisés à accéder au sommet du rocher sans chercher de prise dans la roche. Castro descendit jusqu’au câble et l’inspecta minutieusement. Puis il découvrit un bout de papier qui dépassait. Il défit délicatement les filins du câble et en sortit le papier. Il l’ouvrit et découvrit les coordonnées dessus, accompagnées d’un petit mot.  Il sourit et se tourna vers les autres.

            « On rentre à la casa, » dit-il.