Sous le soleil de Madère

Chapitre 8
Paris (3 août 2009, 8h à Paris)


Le commissaire principal Jacques Leroi arriva à son bureau du 36 Quai des Orfèvres à 8h ce matin-là. La canicule sévissait particulièrement à Paris cet été et l’uniforme était très pénible à porter. Mais un sens du devoir et de la hiérarchie sans faille animaient le commissaire principal, et il portait toujours les insignes de son autorité, de son travail, de sa fierté. Même si cela devait l’amener à transpirer abondamment pendant toute la journée.

            Mais ce jour-là, la chaleur était le cadet des soucis du commissaire. Rémi Carlier n’avait pas donné de nouvelles depuis plusieurs jours, ce qui était absolument contraire à son habitude et à son sens de l’éthique, et était en plus injoignable sur son téléphone. Cela inquiétait de plus en plus le commissaire. Son homologue portugais était de plus systématiquement indisponible, ce qui renforçait son sentiment que quelque chose de suspect se tramait sur l’île.

            Leroi se jeta sur son siège de bureau et vit un journal que sa secrétaire avait déposé là et ouvert. Ceci intrigua le commissaire principal car ce n’était pas dans les habitudes de la jeune femme, donc il saisit le journal et vit qu’on y parlait de Madère. La photo affichée avec l’article montrait l’île de Madère sous le soleil, verdoyante, une vraie carte postale. Mais le titre de l’article ne correspondait pas du tout à cette image. Et ce qu’il y lut le stupéfia :

 

 

 

 

« Etonnante affaire à Madère

Un reportage de Mathieu Gentil

 

 

            De plus en plus de Français vont maintenant en vacances sur la charmante île de Madère. Charmante ? Pas tant que cela. Cette île de rêve  a en effet été le théâtre d’étranges événements ces derniers temps. Ces événements sont-ils liés ? Nul ne le sait, mais ce qui est sûr, c’est que l’image de l’île mettra longtemps à se remettre de ce qui s’y passe depuis une semaine.

            Tout a commencé il y a quelques temps par l’arrivée sur l’île d’un criminel Français : Marc Lambruscino, hors-la-loi bien connu de nos services de police pour divers forfaits perpétrés ces dernières années. Cet homme fut appréhendé quelques jours après son arrivée sur l’île et les autorités portugaises consentirent à le livrer aux Français grâce au travail fourni par notre ambassade sur place. La police française envoya donc un de ses meilleurs éléments, Rémi Carlier, au passé très glorieux dans les services du Quai des Orfèvres (voir notre article consacré aux héros de la police p10), pour transférer ce prisonnier jusqu’à Paris. Mais les événements se sont accélérés depuis l’arrivée de ce Carlier à Madère. En effet, peu de temps après son arrivée à Madère, Carlier s’arrangea pour libérer Lambruscino et prendre en otage un grand commissaire madérien : Felipe Castro.

            Pour vous éclairer un peu, Felipe Castro est à Madère ce que Columbo est aux Américains : un génie et un homme droit. D’après les dires de plusieurs de ses amis et de sa famille, si Castro n’a rien pu faire pour empêcher Carlier de nuire, c’est qu’il a dû être menacé de mort, torturé ou drogué, car jamais il ne cèderait sinon. Castro finira même par être tué par le duo infernal formé par Lambruscino et Carlier avant que ceux-ci ne prennent la fuite. Rémi Carlier fut ensuite repris pas la police madérienne, mais continue de clamer son innocence malgré les preuves accablantes qui pèsent contre lui.

            Nous pourrions dire que cela suffit pour faire le roman policier de l’été. Mais c’était mal connaître des hommes aussi vils et incompatibles avec la société que Marc Lambruscino. En effet, la police a découvert hier le corps sans vie de John Walsh, citoyen américain honnête, payant ses impôts et apprécié par ses concitoyens, sauvagement assassiné à l’arme blanche. L’efficace police madérienne a immédiatement quadrillé le secteur et trouvé Marc Lambruscino non loin de la scène du crime, aves du sang sur les mains que l’analyse ADN révèlera plus tard comme étant celui du défunt. Lambruscino est maintenant emprisonné avec son complice à la prison de Funchal, en attendant d’être jugé.

            Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Deux gouvernements autres que le Portugal réclament maintenant Lambruscino : les Etats-Unis et la France. Et il s’agit maintenant de savoir qui aura le privilège de juger ce criminel.

            Nous pouvons en tout cas dans cette histoire louer l’efficacité de la police madérienne et adresser nos sincères condoléances à la famille de Felipe Castro, véritable héros qui a donné sa vie pour arrêter ces dangereux malfaiteurs. Ce sont de tels hommes qui font du Portugal une grande nation. »

 

            Leroi jeta le journal sur son bureau. Il ne croyait pas un mot de cette histoire. Il connaissait Carlier depuis des années, et il le savait incapable de faire d’aussi horribles choses. Mais comment prouver l’innocence de son subordonné ? Il croisa ses doigts, comme il aimait faire lorsqu’il réfléchissait. Puis il se leva et décrocha son téléphone. Sa secrétaire répondit immédiatement.

            « Oui, monsieur ?

            -Réservez-moi un billet sur le prochain vol pour Lisbonne s’il vous plaît. Prévenez leur ministre de l’intérieur que je veux le voir. Et demandez à Jean Girard de me remplacer pendant une semaine au moins ici.

            -Vous voulez que quelqu’un vous accompagne en protection ?

            -Non. »

            Et il raccrocha. Deux heures après, il était à l’aéroport d’Orly et trois heures après, il décollait pour Lisbonne.