Chapitre 12
Crise à Lisbonne (6 août 2009, 15h à Lisbonne)
Le ministre de l’intérieur portugais sortit de la salle de réunion en étouffant un bâillement. La crise durait depuis deux jours, et aucune issue diplomatique n’avait été trouvée. Les réunions s’enchainaient et les solutions les plus farfelues émergeaient : faire un débarquement à Madère comme en 1944, bombarder l’île… Le Président des Etats-Unis avait même appelé le ministre de l’intérieur portugais pour lui proposer de prendre les choses en main. En effet, un tel mouvement indépendantiste réveillait des envies d’indépendance partout dans le monde, et s’il n’y avait pas une réaction rapide, beaucoup de choses allaient échapper au contrôle des gouvernements. C’est pourquoi le Portugal était sous pression. Le commissaire Jacques Leroi avait été chargé par ses supérieurs d’accueillir le ministre des affaires étrangères Français à Lisbonne pour que celui-ci puisse avoir les informations le plus rapidement possible. Leroi en profitait pour essayer d’avoir des nouvelles de Carlier, mais rien ne filtrait de Madère, sauf le nombre grandissant de morts. Marcovi savait en effet que s’il laissait partir les gens qu’il tenait en otage, le gouvernement Portugais n’hésiterait pas à bombarder Madère. Il n’avait donc aucun intérêt à ce que les négociations aboutissent. La situation semblait donc être dans une impasse. Et le ministre de l’intérieur portugais, monsieur Martinez, en était conscient. Il soupira et sortit du bâtiment pour respirer un peu. Il faisait une chaleur étouffante. Le ministre regarda autour de lui. De grands jardins entouraient le bâtiment où se tenaient les réunions, mais Martinez pouvait apercevoir au loin les journalistes agglutinés contre les grilles. Il se fit l’amère réflexion que dans une crise de cette ampleur, la moitié des réunions se passait à discuter de ce qu’il fallait dire ou ne pas dire à la presse. Alors que des gens mouraient.
Martinez vit arriver Jacques Leroi. Il savait que celui-ci n’assistait pas aux réunions, mais lui faisait assez confiance pour lui parler de ce qui se disait pendant celles-ci.
« Comment allez-vous, monsieur le ministre ? demanda poliment Leroi.
-Très mal. Et vous ?
-Très mal également. Voyez-vous, un de mes meilleurs hommes et un grand ami est coincé là-bas. Visiblement il avait mis le doigt sur le complot et a été stoppé. Il serait intéressant de savoir ce qu’il sait.
-Probablement. Mais comme vous dites, nous ne savons pas s’il est vivant. Et nous ne savons rien non plus sur son implication.
-Je sais. Mais ce que je veux dire, c’est qu’au vu de cette affaire et au vu du nombre de touristes Français présents sur l’île, cette affaire concerne également la France. Et mon ministre vous fait dire que s’il vous faut des renforts, nous sommes là. »
Martinez se tourna vers Leroi et hocha la tête en signe de remerciement. C’était le mieux qu’il pouvait faire dans l’état où il était. Une sonnerie retentit. C’était le signal que la réunion allait reprendre. Martinez fit mine de s’en aller, mais Leroi le retint par le bras.
« Monsieur le ministre, j’ai travaillé sur une idée les deux derniers jours, et j’aimerais l’exposer au conseil.
-Vous en êtes sûr ? Ca serait très mal vu ! Vous n’êtes qu’un commissaire Français, sans aucune connaissance de ce genre d’affaires. Ne le prenez pas mal.
-Je comprends votre point de vue, rassurez-vous. Mais j’ai fait l’armée dans ma jeunesse, j’ai donc quelques notions qui pourraient être utiles dans un cas comme celui-là. De plus, je pense que mon idée pourrait sauver des vies. »
Martinez soupira et leva les yeux vers Leroi. Au cours des deux derniers jours, il avait appris à apprécier le commissaire qui lui semblait être un homme de valeur. Et en plus, aucune bonne idée n’émergeait des conseils, donc personne n’avait rien à perdre à ce que Leroi propose une idée, même absurde. Martinez acquiesça donc et promit à Leroi de le rappeler.
Mathieu Gentil était furieux. Depuis qu’il était à Lisbonne, il n’avait réussi à obtenir aucune déclaration de la part des officiels portugais, et la délégation Française refusait de l’aider, prétextant qu’il y avait d’autres problèmes plus graves à régler. Le patron de Mathieu commençait à lui demander des explications et des comptes sur ses notes de frais qui ne rapportaient aucun article, et avait même évoqué la possibilité de le limoger. Mathieu était resté très calme, mais avait pris la menace très au sérieux. Il fallait qu’il trouve quelque chose à raconter. Il vit le commissaire Leroi sortir du parc entourant le bâtiment où se tenaient les réunions officielles et Mathieu se dirigea vers lui.
« Commissaire ! Commissaire !
-Que voulez-vous ? demanda Leroi avec agacement.
-Je veux une déclaration. La France a besoin de savoir, monsieur.
-Votre but n’est pas d’informer, mais de répandre le désordre et la terreur par un usage abusif du sensationnel, répliqua Leroi. Je ne vous dirai rien, car cela pourrait être déformé. »
Et il continua son chemin. Mathieu ne s’avoua pas vaincu et le suivit.
« Savez-vous ce que les généraux Portugais comptent faire pour gérer la crise ?
-Je ne dirai rien. De plus, si je vous dis quelque chose, vous devez savoir que les rebelles lisent les journaux à Madère, et personne ne les voudrait au courant d’un éventuel plan d’action. »
Mathieu fut frappé par cette remarque. Il n’avait pensé qu’à sa carrière. Pas au fait que son article pourrait nuire à quiconque. Mais il fallait tout ce même qu’il saisisse cette opportunité. A tout prix.
« Et si vous m’autorisiez à couvrir l’affaire, et que moi je m’engageais à ne rien écrire avant la fin de la crise, ou en tout cas pas avant que chaque événement dont je parlerai soit fini ? »
Leroi s’arrêta et réfléchit. Donner l’exclusivité à ce petit journaliste serait un moyen de contrôler la presse. Il décida qu’il devait en parler au conseil si Martinez arrivait à lui obtenir un temps de parole. Il se tourna vers Mathieu.
« Ecoutez, je vais voir. Je ne vous promets rien, mais je vais voir ce que je peux faire. »
Mathieu hocha la tête et regarda Leroi s’éloigner. S’il négociait bien cela, une mine d’or s’ouvrirait devant ses yeux.
Pour fêter son succès, Mathieu prit l’après-midi pour se reposer, sachant bien qu’il n’en saurait pas plus tant que Leroi n’aurait pas parlé au conseil. Il décida qu’il n’appellerait son patron qu’après avoir eu confirmation de Leroi. Mathieu passa donc son après-midi à se balader dans Lisbonne, en tombant de temps en temps en arrêt devant des kiosks à journaux où les gros titres s’alignaient : « Que fait le gouvernement pour la crise de Madère ? », « Les généraux sont-ils en train d’agir ? », … Que des interrogations. Mathieu soupirait à chaque fois et continuait son chemin, encore plus morose. Il avait fallu qu’il tombe sur la seule crise mondiale où personne ne disait rien !
Le commissaire Leroi retourna voir le ministre des affaires étrangères Français. Celui-ci logeait dans un luxueux hôtel dans le centre-ville de Lisbonne. Lorsque Leroi arriva à sa chambre, il vit le ministre en train de faire ses valises. Leroi en fut interloqué.
« Que se passe-t-il monsieur le ministre ? demanda-t-il.
-Ah Leroi, content de vous voir ! Voyez-vous, je dois partir, il y a des grèves à Paris et le Président a convoqué le conseil des ministres. Je dois y aller.
-Mais monsieur le ministre, j’ai un de mes hommes là-bas. Et il y a des touristes Français !
-Je sais, mais l’affaire n’est pas encore très médiatisée, donc les Français veulent d’abord que l’on règle ce qui se passe au pays. Donc je rentre. Notre rôle au gouvernement est d’assurer le contentement de la majorité, pas d’une minorité. »
Leroi fut profondément choqué par cette remarque qui relevait de la pure démagogie et des pires instincts politiques.
« Mais on doit faire quelque chose, monsieur le ministre ! C’est la guerre civile là-bas ! Des gens meurent ! En France, les gens sont mécontents, mais ils ne meurent pas ! Et votre action maintenant se répercutera forcément en France à un moment donné ! »
Le ministre se tourna lentement vers Leroi et lui fit signe de s’asseoir. Leroi s’exécuta. Le ministre s’assit sur le bord du lit.
« Voyez-vous Leroi, c’est exactement pourquoi vous n’avez jamais eu d’avancement. Vous ne vous y connaissez pas en politique. Il faut s’occuper de ce que les gens veulent. Et pour l’instant, ils s’en fichent de Madère !
-Mais quelqu’un doit régler cette crise !
-Je sais. Je vous désigne donc comme mon représentant personnel ici. Faites tout ce que je dois faire, vous avez carte blanche. Proposez l’aide de la France en ce que vous voulez, dans la mesure où ça ne coûte pas trop cher. Mais si vous faites une gaffe, ce sera pour vous. Par contre, si vous réussissez, ça sera pour moi. »
Leroi resta silencieux. Il connaissait les enjeux, mais il savait que quelque chose devait être fait. Et si le ministre ne voulait pas prendre cette responsabilité, il le ferait. Ce n’était pas la gloire qu’il recherchait, c’était seulement ce qui était le plus juste. Le ministre n’avait que des motivations de politique immédiates.
« Je veux bien cette responsabilité, monsieur, dit Leroi.
-Bien, répondit le ministre, je ferai les papiers nécessaires avant de partir et je vous ferai un rapport de passation. En attendant, laissez-moi, je pense que vous avez du travail.
-Mais monsieur, ne serait-il pas bien de faire parler de cette affaire en France, cela distrairait l’opinion publique des crises actuelles au pays.
-Leroi, vous êtes un homme d’action, donc laissez la politique aux politiciens ! »
Le commissaire tourna les talons et s’en alla. Le ministre n’était pas réceptif. Les troubles en France devaient être fâcheux pour qu’il soit à ce point préoccupé.