Chapitre 1
Le ministère de l'intérieur
Pi aimait arpenter les couloirs du ministère. On y croisait toutes sortes de gens, bien habillés ou loqueteux, pressés ou lents, stressés ou tranquilles. Et c’était la somme du travail de toutes ces personnes qui faisait que le pays fonctionnait si bien. Pi sourit intérieurement en pensant qu’un jour, lui aussi avait été impatient de tout faire pour le bien de son pays. Il aurait donné sa vie pour la nation, pour tout de qu’elle représentait à ses yeux. Il était alors un jeune homme idéaliste et volontaire. Mais la mort de sa femme avait tout chamboulé. Et il tenait la France responsable de cette mort. C’était parce qu’il s’était trop consacré à son travail qu’elle s’était laissée dépérir. C’était parce que la France lui en avait trop demandé à lui qu’elle était morte. Pi chassa cette pensée de son esprit. Il avait plus urgent à penser. Il devait se rendre à la salle d’interrogatoire où se tenait Francis Dugas. Et il devait s’assure que celui-ci ne savait rien du tout.
Il arriva devant la salle d’interrogatoire 15 et montra son badge au garde. Celui-ci hocha la tête et ouvrit la porte à Pi. Celui-ci entra dans la salle et se retrouva face à l’homme qu’il avait vu si souvent en photo, mais qu’il n’avait encore jamais rencontré.
Dugas était assis sur une chaise, le dos courbé, et ne releva pas la tête quand Pi entra. Il ne fit pas non plus attention quand Pi s’assit en face de lui.
Pi regarda Dugas pendant un instant. En 2 mois d’interrogatoires, Dugas avait maigri et avait le teint gris. Mais c’était sûrement ce qu’il méritait, se dit Pi.
« Monsieur Dugas, j’ai encore quelques questions à vous poser, commença Pi.
-Encore ? fit Dugas d’une voix faible.
-Oui. Cela ne prendra pas longtemps.
-De toute façon, je n’ai pas le choix. Je pourrai voir ma fille après ? »
C’était tout ce qu’il voulait : voir Eva. Il espérait qu’elle lui aurait pardonné. En deux mois, il avait eu le temps de réaliser tout ce qu’il lui avait fait endurer, et regrettait amèrement. Et c’était l’espoir de revoir sa fille qui lui permettait de tenir.
« Non, répondit Pi. Elle ne veut pas vous voir. Et je ne l’en blâme pas. Maintenant, vous voulez bien répondre à mes questions ?
-Tout ce que vous voudrez, fit Dugas en se mettant la tête dans les mains.
-Etiez-vous le chef du réseau de trafic en Suisse ?
-Non. Mais je n’ai jamais su pour qui je travaillais. Je recevais mes instructions d’une voix sèche au téléphone. Je n’ai jamais su dire si c’était un homme ou une femme. Mais la paye était bonne. Alors je m’exécutais... »
Pi sourit intérieurement. Le secret de son employeur était donc bien gardé. Les services secrets ne goberaient jamais l’histoire du patron anonyme et insaisissable. Trop classique. Trop difficile à gérer.
« Vous n’avez jamais tenté de savoir qui c’était ?
-Jamais. J’ai le sens de l’honneur dans mon genre. »
Pi fut encore plus satisfait. Dugas porterait le chapeau pour tous les événements antérieurs, et la suite des opérations pourrait se dérouler tranquillement.
« Je crois toutefois, intervint Dugas, que Jean Rousseau connaissait nos employeurs. Mes instructions étaient parfois transmises par son intermédiaire.
-Merci. Cela m’aide beaucoup. »
Mais cela ne l’aidait pas du tout. Bien sûr que Rousseau était au courant de tout. Il allait même jouer un rôle décisif dans la suite.
Pi se leva.
« Bon, si vous ne savez rien d’autre qui puisse nous être utile, nous allons vous renvoyer croupir à Fresnes. »
Et sur ces mots, Pi sortit de la salle d’interrogatoire. Il jubilait. L’opération se présentait sous les meilleurs auspices.
Il descendit au parking souterrain du ministère, monta dans sa Safrane bleue et rentra chez lui, à Vincennes. Il se gara devant son immeuble, sur une place qui venait de se libérer, et monta chez lui. Une fois dans son appartement, il verrouilla la porte et composa le numéro si familier maintenant. Il tomba sur la boîte vocale si bien connue.
« Il ne sait rien, » dit-il.
Puis il raccrocha et regarda autour de lui. Son regard tomba sur une photo de sa femme. Il la prit, s’assit dans un fauteuil et la regarda pensivement. Il éclata en sanglots.
Il était une fois en France – Annexes